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La question est sur beaucoup de lèvres ce soir.
Une sortie de l’euro est elle possible ?
» Un tel scénario de sortie n’est envisageable qu’en situation de catastrophe « déclarait ces jours derniers Valéry Giscard d’Estaing qui déplorait que « lorsque les chefs d’Etat et de gouvernement reviennent d’une réunion, on ne leur demande pas ce qu’ils ont fait pour faire avancer l’Europe, mais ce qu’ils ont obtenu pour leur pays ».
Faute de préférer le colmatage à la réparation, préalable à la reconstruction, de la maison commune, les décideurs européens semblent résignés à voir s’effondrer l’édifice construit et imposé à leurs partenaires par le couple franco-allemand.
A peine plus de vingt quatre heures après la mise au point d’un plan de sauvetage, dont la mise en œuvre kafkaïenne - faire adopter, dans l’urgence, par des parlements qui n’en ont pas le pouvoir, des dispositions, non prévues aux traités, eux-mêmes rejetés par le suffrage universel – le dispute à l’opacité, la valeur de l’euro est l’objet d’une suspicion généralisée.
Deux milliards puis quinze milliards, devenus en très peu de temps trente, trente cinq, quarante cinq et finalement dans le communiqué final du 2 mai, » entre cent et cent vingt milliards « n’auront pas suffi à rétablir la confiance. Jacques Attali disait, il y quelques huit jours : » ça commence par un milliard et ça finit par cent « . Ce qu’il savait, mais qu’il ne pouvait que taire, c’est que face à des comptes improbables la terrifiante machine à broyer, la spéculation, est en marche. Comme au plus beaux temps des batailles monétaires que nous espérions révolues. Avec des acteurs aux moyens considérables, appuyés sur la puissance des ingénieries financières auxquelles la dérèglementation généralisée a laissé, durant la même période, le champ libre.
La chute du mur de Berlin a signé celle de l’Europe née de la guerre. François Mitterrand se portant au secours, ou presque, de l’Histoire avait, durant quelques heures, espéré des colonels soviétiques. Eltsine, monté sur un char, l’ayant emporté il convenait de reconsidérer l’Europe, de prendre en considération l’affirmation de Charles de Gaulle : » de l’Atlantique à l’Oural « .
Car l’Europe des douze, en absorbant l’ex RDA, a alors du rapidement s’ouvrir à l’Est, s’obligeant à limiter l’emprise de la naissante CEI. La construction de la monnaie commune, fille d’une autre Europe, était avancée, le télescopage du libéralisme et de l’Histoire inévitable.
La BCE s’est vu confier une mission dont elle n’avait pas les moyens. L’insuffisance de l’harmonisation des politiques budgétaires – et fiscales – ne pouvait que conduire à une diffluence caractérisée conduisant aux résultats que l’on connaît.
Pire cette divergence croissante porte en elle le terme d’une parenthèse.
Voilà donc au bord du gouffre des pays, aussi éloignés que possible des critères sur lesquels ils s’étaient, en grande pompe, accordés. Certains donnent des conseils, telles ces banques qui durant l’été 2008 prodiguaient leurs doctes recommandations quelques heures encore avant de sombrer.
D’autres, ensemble, s’accordent pour aider l’un d’entre eux. Ainsi ces pays – à la monnaie unique – vont prêter au taux de 5% de l’argent qu’ils n’ont pas. Pour ce faire ils vont eux-mêmes emprunter. L’un d’entre eux à 3%, un autre à 3.80. Un autre encore, dont les experts nous disent qu’il est le suivant sur la liste des déshérités, va devoir rémunérer son bailleur à 5.5 % ou plus. C’est-à-dire à un taux supérieur à celui auquel le voilà sommé de prêter, accentuant ainsi la fragilité de la ‘tectonique monétaire’. A moins que n’ait été placée une règle de butoir dont nous ignorons, comme pour l’essentiel, l’existence.
Après avoir ruiné des acheteurs de maisons, en leur accordant des prêts qu’ils savaient destinés à nourrir des contentieux inutiles, avoir distribué des cartes de crédit qui portaient bien leur nom, s’être débarrassé de leurs créances irrécupérables auprès de confrères et institutions complaisants, inconscients ou aveugles, voici que les banques décident du devenir des Etats. Jean-Jacques Servan Schreiber n’est plus là pour constater que ce qu’il avait décrit, il y a quarante ans, est advenu. Certaines multinationales sont bien plus puissantes que beaucoup d’Etats. Au premier rang d’entre elles figurent les banques, leurs filiales, leurs hedge funds, leurs activités off shore initiées depuis Shanghaï, New-York, Londres ou Paris et enregistrées aux Iles Caïmans, ou dans d’autres paradis fiscaux artificiels.
Après être allé jusqu’à assécher une mer de 68.000 km2, surface de la Géorgie, pour s’enrichir avec du coton, vider les bas de laines pour partager des commissions, les banques, qui ne font que ce que leurs actionnaires leur demandent ou plus précisément autorisent, ces actionnaires étant éventuellement vous et moi à travers notre épargne, commencent à imposer leur domination aux Etats.
Faute de dire la vérité, avec courage, celui que Jean-François Deniau assimilait à » la force de tenir debout » les responsables – au sens le plus large – laissent les marchés financiers affaiblir dramatiquement les Etats.
Le plan infligé à la Grèce est bel et bien un diktat.
L’un de mes amis me demandait très récemment si tout avait commencé, plus ou moins, de la même façon dans les années 1930. Il voulait sûrement tester mon état de conscience. Savoir si ce qui était encore à tout jamais impossible, il y a peu – plus jamais ça ! -, était aujourd’hui envisageable.
Je sais ce que lui avait coûté la guerre. Ce qu’il y avait perdu. Ceux qu’il n’avait pas connus.
Devant mon approbation, il poursuivit : » La nationalisation des banques serait elle de nature à changer le cours des choses ? « .
« A donner une chance à l’Europe ? « , dis-je. » Sûrement, mon Cher Ami, faute de quoi, livrée à elle-même, elle retournerait aussitôt à ses vieux démons. Il faudrait peu de temps pour que les difficultés économiques nourrissent le protectionnisme et, de là, les nationalismes ».
L’Histoire n’est pas morte.
Bartolomeu
NDLR
Le 9 février, le Financial Times indiquait que les hedge funds misaient 7,6 Md$ sur la dépréciation de l’euro. Coté à 1,45$ en janvier, celui-ci vient de repasser sous la barre de 1,3$.
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