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Illustration Archikubik. DR.
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La transformation du monde depuis 20 ans fait émerger une société mutante fondée sur des processus politiques et socio-culturels et sur les Technologies de l'Information et de la Connaissance (TIC). Elle amène une nouvelle morale et génère une économie différente de toutes celles que nous connaissons. Nous assistons à la naissance du Capitalisme cognitif. Cette phase s’affranchit des frontières et du cadre spatial. Elle constitue un moment historique pour les villes. La ville a toujours véhiculé une valeur symbolique, qui doit être réinventée face à la métropolisation. L'urgence de trouver de nouveaux modes de production, de se sociabiliser, de communiquer ou de consommer autrement, se traduit par de nouvelles exigences spatiales. Parallèlement, une société moins uniforme se dessine, avec un modèle mental en rupture avec celui du siècle passé où la télévision imposait une communication univoque. Internet génère une ville aux dimensions multiples. Dans la société hypertexte, saturée d'information, où l'on vit à la fois dans le monde virtuel et dans le réel, la chance de l'être humain est de nouer des relations personnelles plus intenses et d’appartenir à des communautés au sein d’espaces partagés. C’est une vraie opportunité de cohésion sociale. Le capital humain devient la valeur essentielle du développement de cette société mutante. L’admettre implique l’obligation de revisiter l'espace public. Nous devons mieux prendre en compte sa porosité et ses interactions avec l’espace privé. Il faut reconsidérer la perméabilité des bâtiments. Parler d'un territoire durable, c’est en effet décrire un espace qui prend en compte l'écoconstruction et l'écologie urbaine mais aussi la durabilité territoriale : densité et concentration, relation de l’urbain avec la nature et le rural. Mixité des usages et des activités et mixité sociale et trans-générationelle. Un territoire solidaire et non exclusif qui place infrastructures et équipements au service de la communauté, afin que son capital humain dispose des meilleures conditions pour exprimer ses besoins, ses désirs, rêves et ses émotions. En partant de l'échelle humaine pour développer l'échelle urbaine, jusqu’à l’échelle métropolitaine[i].

Illustration Archikubik. DR.
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« Aujourd'hui, l'important est d'arrêter le cerveau et d'ouvrir son cœur... »

Edgard Hereveri, Directeur de l’Office de Tourisme de l’Ile de Pâques, Chili.

1. L'ère digitale, troisième révolution urbaine.

Nous abordons le XXIe siècle avec de nouveaux modèles qui découlent de la transformation radicale d’une société industrielle obsolète. Cette mutation résulte de trois processus interdépendants. Tout d’abord, avec la disparition d'un monde divisé entre communisme et capitalisme, les limites territoriales se recomposent, par exemple avec l'Union Européenne et l’émergence de la Chine[i]. Elles transforment le paysage mondial alors qu’on assiste à la contagion d'une crainte commune, le terrorisme. Le second processus tient à la revendication au droit à la différence et au respect des minorités. Elle s’organise autour d’associations qui fleurissent dans les noyaux urbains et deviennent des bases d'échanges globaux grâce à Internet. La prise de conscience de la nécessité de préserver l’environnement en fait partie. Enfin, la place croissante des femmes dans le monde du travail rémunéré a bousculé l'ordre établi et créé de nouvelles habitudes, de nouveaux besoins et des schémas familiaux inédits. En cette fin de première décennie du millénaire, nous devons aussi compter avec un quatrième facteur, le progrès de la science : génétique, reproduction assistée et nano-technologies. La généralisation des TIC induit ainsi de nouvelles manières de produire, de gérer, de communiquer et de créer des liens, dont la matière première est l'information. Nous assistons à la naissance du capitalisme cognitif dont le paramètre clé est la vitesse. C’est le triptyque fondamental de la e-Polis : ville, espace, temps.

[i] NDLR. Cette recomposition des territoires découle aussi du processus d’éclatement d’Etats et, réciproquement, de nouveaux regroupements. C’est le cas en France avec le développement de l’intercommunalité.

Illustration Archikubik. DR.
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2. L’urbanisme opérationnel

Cette nouvelle ère s’affranchit de la notion de frontière ou de limite spatiale. Or la ville a toujours véhiculé la valeur symbolique de frontière. Celle-ci doit être réinventée, surtout quand la ville est soumise au choc de la métropolisation. Le vecteur principal de cette nouvelle économie urbaine est la rapidité des échanges (e-chronos v/s e-topos). Ses conséquences sont le désajustement perpétuel d’une société qui évolue plus vite que son espace[i] et une nouvelle relation au risque, elle même à l'origine des réponses aux problématiques de la ville durable. Il faut dès lors passer de la planification urbaine au management stratégique urbain. Les nouveaux outils, qui commencent à être utilisés pour évaluer l’intangible, ajoutent une sorte de couverture d'information au territoire d'intervention. Prospective, indicateurs de gestion du Capital Intellectuel ou analyses sur la Creative Class[ii] permettent d’intégrer la dimension inconnue et le capital humain dans la planification territoriale.

Ceci conduit à anticiper le territoire et ses besoins de manière plus subtile, plus créative, plus ouverte et plus humaine, en incluant le facteur émotionnel, les perceptions sensorielles au-delà de l'aspect pratique et du facteur opérationnel pur. Ceci appelle une architecture-corps qui intègre le temps dans son programme. Ce management urbain repose aussi sur la capacité d'adapter ses outils. Il nécessite d'évaluer le processus et le résultat en reconnaissant le droit à l’erreur[iii]. C’est un processus itératif de preuve et d'erreur.

C’est ainsi que l’on tend vers un urbanisme de dispositifs évolutifs, intégrant la densité créatrice et la concentration. Ses principes sont la compacité, la diversité des usages et des utilisateurs, l'efficacité énergétique, la gestion pertinente des infrastructures et l’optimisation des ressources énergétiques partagées. Penser la ville à partir d'une coupe sur la rue pour libérer et optimiser l'espace public amène à reconsidérer la mobilité dans l’esprit des Situationnistes, qui surélèvent les villes et les infrastructures pour libérer le niveau de la rue des services qui n’ont plus leur place dans l’espace public naturel[iv]. Réfléchissons comment libérer le territoire des ruptures créées par les infrastructures de transport, en remédiant à la fragmentation du territoire qui bloque la cohabitation harmonieuse entre nature et développement humain. L’assumer dans la définition des politiques urbaines est la condition d’un urbanisme compact qui, peu à peu, suscitera des mécanismes opérationnels capables de densifier dans un processus continu de recyclage du territoire[v].

Par ailleurs, il n'y a pas de développement urbain soutenable s'il ne s’étend pas à tout le territoire. La relation entre l'urbain et le rural renvoie à la mixité des usages urbains et métropolitains. On doit donc privilégier les politiques territoriales qui induisent la multiplication de fonctions et favorisent les synergies entre espaces, activités et populations. Au fond, c’est la relation entre ville et nature qui est en jeu : nature urbaine, nature agraire, nature naturelle.

Dès lors, la voie est ouverte pour explorer la piste du métissage. La logique traditionnelle des parcs urbains est limitée par l'usage intensif, du à la pression citadine, mais aussi par le besoin d'espaces naturels où développer des activités ludiques. Or celles-ci sont souvent incompatibles avec l'usage historique de promenades, comme les Parcs anglais de la royauté quand ils sont ouverts au public. Ces lieux tendent à devenir des espaces de prohibitions : ne pas vivre l'un sur l'autre, ne pas courir, ne pas jouer au football, ne pas lâcher les chiens, ne pas circuler à bicyclette, etc. D'autre part, les politiques agricoles favorisent encore la monoculture extensive, appauvrissant les environnements ruraux, alors que se manifeste une demande croissante pour une alimentation plus saine et plus saisonnière. Dans la ville durable, des coopératives de paysans sont organisées au sein du réseau. Réduire la pression citadine en satisfaisant les besoins légitimes par la création d'un espace public qui soit une transition entre l'asphalte et la nature, pourrait être une piste de réflexion pour rapprocher la nature de la ville dans une dynamique intégrant développement économique et protection des paysages. En 2009, par exemple, lors de la consultation sur le Grand Paris, Antoine Grumbach proposait une typologie innovante de type parc - nature habitée. Il préconisait le développement de l'agriculture de proximité comme élément du projet urbain. Monde urbain, monde agricole et nature peuvent dès lors dialoguer et se compléter. Ce nouveau modèle devrait jouer un rôle stratégique.

[i] NDLR. Cette problématique est notamment abordée par le rapport Hervé (2002).

[ii] NDLA. Ces indicateurs montrent que le facteur d'attraction d'un territoire réside dans les 3T : technologie, talent, tolérance.

[iii] NDLR. Voir à ce sujet l’article RH et énergies non renouvelables par Véra Pessoa, ITEM Info Débats n°4, juillet 2010.

[iv] NDLR. L’urbanisme hors sol a été maintes fois critiqué pour l’accentuation de l’effet de rupture qu’il génère. Il nous semble cependant que la rupture ne constitue pas un problème majeur en elle même car elle est inhérente à tout territoire, à commencer par la topographie du site. A contrario, la rupture peut constituer une respiration nécessaire au sein de la forte densité. Elle contribue aussi à forger des identités spatiales et sociales spécifiques. Les notions de trans (à travers) et de cis (au delà) d’une frontière ou d’une limite sont structurantes. La véritable problématique réside à nos yeux dans le traitement urbanistique et architectural de cette rupture. C’est insister sur l’importance des transitions et des franchissements, facteurs de lien. Une autre contradiction est le coût de couverture des infrastructures, dont le financement suppose l’établissement de vraies politiques foncières et la définition de nouveaux mécanismes de partage de la valeur immobilière.

[v] NDLR. L’une des conditions nécessaires de telles politiques locales est, bien entendu, la capacité des collectivités territoriales à défnir et appliquer des politiques foncières à l’échelle métroplitaine. Donc à user de l’outil de la fiscalité foncière de manière incitative et de façon à intégrer et répartir la valeur créée. Ce que ne permet pas le cadre fiscal actuel en France.

3. L'espace public revisité, fondement de la e-Polis

Dans ce nouveau contexte urbain, il est urgent de favoriser le capital humain pour affronter les défis de la société hypertexte et de la grande métropole. Face aux incertitudes et à la mondialisation, la reconnaissance de facteurs émotionnels et du sentiment d'être chez soi, ce que les Espagnols appellent domesticidad et les Allemands Gemütlichkeit, est vitale. Elle facilite l'appropriation et le respect des espaces collectifs propices au partage et aux échanges interpersonnels.

Dans l'aire métropolitaine, le défi sera donc de réinventer les espaces publics[i]. Dans la tradition européenne, ils ont toujours été au cœur de la vie citadine. Contrairement à ce que l'on espérait ou craignait, la technologie ne remet pas en cause la concentration métropolitaine. Elle ne remplace pas les villes vécues par des villes virtuelles. L'utilisation des TIC ne se substituera pas aux déplacements physiques. Le face-à-face et les rencontres visuelles restent le mode de communication privilégié des humains. L'accessibilité physique et la possibilité de rencontre sont, plus que jamais, la matière première de l'urbain. Le rôle de l'espace public dans nos villes et leur périphérie se trouve ainsi transformé.

Au-delà des interrogations classiques sur sa vocation ou sa nature de lieu neutres, la question se pose de savoir si la conception traditionnelle de l'espace public reste pertinente pour éduquer et transmettre la notion de l'urbanité aux citoyens de la société de l'information. Il est probable que, dans la e-Polis, il faudra trouver une nouvelle articulation spatiale entre le communautaire et le social global. Une piste intéressante est celle de la socialisation des espaces d’acculturation au bien commun, au sein des communautés de voisinage. Des espaces d’apprentissage, de jeu, de travail ou d’étude, en définitive espaces de partage et de découverte des autres. Mais aussi des espaces à la fois intérieurs et extérieurs.

Cette typologie revêt une importance particulière quand elle s’applique à des édifices urbains qui se connectent à l'espace public du niveau de la rue, pour engendrer une multiplicité d'espaces publics, avec des nuances subtiles et des degrés de perméabilité plus ou moins grands selon les programmes. Elle transforme les immeubles en édifices relationnels, capables d'être dynamisés dans un nouvel ordre de l'espace public.

Chaque élément du bâti a une utilité et favorise la perméabilité des espaces publics et privés. Partir du local et façonner le tissu urbain à partir de l’espace public de manière à favoriser la cohésion sociale en est la conséquence logique. Le lieu et son rapport à l’environnement déterminent la meilleure intervention urbaine et architecturale. En pratique, il s’agit de traiter les projets sous trois échelles, humaine, urbaine et métropolitaine, pour construire des bâtiments relationnels en interaction avec la ville pour multiplier les points de contact entre les habitants.

Ainsi, la formation d'écocitoyens responsables et solidaires ne repose pas seulement sur des politiques d'éducation. Elle nécessite la reconnaissance du rôle politico-social de l'architecture. Dans leur pratique, architectes et urbanistes doivent promouvoir ces espaces de rencontre et de cohabitation entre communautés. Les projets doivent susciter le sentiment d'appartenance. Des projets avec des édifices reliés, ayant la capacité de faire dialoguer espace public (ep) et espace partagé privé (epp) Dans cette perspective, pourquoi ne pas imaginer d’utiliser les édifices publics ou les équipements scolaires au delà des horaires établis, pour être mis à la disposition du public comme nouvel espace urbain ouvert tous le temps ?

Réciproquement, quelle est la logique d'un transfert direct de l'espace public historique des centres urbains denses vers l'espace public de la périphérie que nous produisons dans es zones d'urbanisme extensif ? A quoi sert un parc public au milieu de la nature, si chaque maisonnette dispose de son jardin ? Nous devons reconsidérer l'urbanisme diffus et donc admettre qu'il s'agit d'un usage spécifique à un habitat unifamilial, qui correspond à un modèle de consommation obsolète. Il serait préférable d’engendrer un espace public pertinent, induisant un mode de vie où la mobilité privée – parfois subie - est l'élément de connexion principal. Il faut dès lors repenser le concept de transport collectif et le considérer comme l’élément stimulant de l’échange social. Par exemple, les nouveaux éléments générateurs d'espace public pourraient être situés sur les nœuds routiers. Les stations-services, les petits supermarchés, les gares périurbaines peuvent aussi assurer cette fonction de connecteurs[ii].

Ce sont autant de pistes de réflexion sur l'espace public de la ville diffuse, d’autant plus que s’offre à nous une opportunité sans précédent de réunifier l'espace public et l'imaginaire au service de la cohésion sociale.

[i] NDLR. La notion d’espace public est à entendre ici au sens d’espace commun ou social. Elle ne s’analyse pas en termes de statut de propriété. En ce sens, un centre commercial, une gare, les parties communes d’un immeuble de logement ou les espaces verts d’un ensemble résidentiel relèvent de l’espace public au même titre que la rue ou la place. La différenciation intervient dès lors entre espace intime, domestique, que l’auteur appelle partagé privé (epp) et espace public (ep), fait pour favoriser la cohabitation et facilite la mixité sociale des résidents.

[ii] Le déploiement par la SNCF des Points TER, points multiservice, ou des PIMMS dans les gares participe à ce même logique d’occupation de l’espace, de présence humaine et de création de lieux de sociabilité.

Illustration Archikubik. DR.
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4. Le vecteur temps dans l'architecture

La mutation de la société génère de nouvelles habitudes. Elle fait émerger des besoins qui se traduisent par de nouvelles typologies et des usages innovants de l’espace, qui pourraient accroître la porosité entre espace public-privé et espace public. A cet égard, la typologie de l'espace domestique constitue un large champ d’expéri-mentation, avec par exemple le modèle de la famille recomposée, où vivent ensemble le couple reconstitué et son enfant commun, plus ceux dont un membre du couple a la garde à temps plein. Tous les quinze jours, cette même famille reçoit les autres enfants. La taille de la cellule familiale varie ainsi de quatre à six personne, sur la même surface habitable. La même logique vaut pour la cohabitation entre les enfants majeurs et leurs parents tant qu’ils n’ont pas le pouvoir d'achat suffisant pour s'émanciper ou pour de la re-cohabitation des personnes âgées avec leur famille, comme alternative aux maisons de retraite. On doit dès lors imaginer une architecture évolutive qui, comme le code génétique, s'adapterait à des besoins variables selon les rythmes et les cycles de vie. Cette architecture définit naturellement des espaces collectifs pour le télétravail ou des espaces de jeu et de socialisation au sein de micro collectivités. Des espaces gérés par la communauté, ouvert à tous les résidants, qui encouragent l'usage partagé et génèrent l’urbanité.

De même, l'espérance de vie moyenne augmente chaque décennie. En France, 10 % de la population aura plus de 75 ans en 2020. Comme le note un rapport récent du Centre de Veille Stratégique, il faut sans doute redonner une valeur essentielle à l'échange entre générations. La sociologue et ethnologue Martine Sagalem parle du nouvel esprit de famille, qui bientôt réunira cinq générations. S’inspirer des modèles de commu-nautés transgénérationelles permet de produire des espaces communautaires et familiers, privés et partagés, évolutifs au cours du temps. Par exemple, imaginer un appartement comprenant deux pièces, un espace interstitiel et un studio d'une pièce. Le même logement pourrait être habité aussi par une autre communauté que familiale, fonctionnant sur un mode collaboratif et destinée à une population désireuse de partager et d’échanger des services mais aussi de réduire le coût de son logement : regroupement de familles mono-parentales ou colocations étudiante, etc. Des services tels qu’accompagner un vieillard à une visite médicale contre des heures de babysitting, effectuer des achats contre un repas, etc. En tout état de cause, accorder une importance aux intérêts communs des citadins, en leur donnant les possibilités et les facilités réelles d'établir des liens de solidarité et d'affection, basés sur des intérêts communs plutôt que sur des hiérarchies ou des obligations sociales.

Les immeubles de bureau se prêtent eux aussi à cet exercice grâce à l’organisation horizontale des entreprises de la nouvelle économie.

Là peuvent surgir de nouvelles manières de travailler et d’établir des relations, où le concept de domesticité est étroitement lié à l'espace de travail. Il recouvre à la fois la sphère privée et la sphère publique dans un environnement d'opportunités créées par les TIC. Des édifices sensés, basés sur un changement d'attitude quant à la responsabilité écologique des utilisateurs, où la ventilation naturelle croisée supplée la climatisation, où la lumière naturelle arrive à tous les postes de travail et où les espaces de rencontre facilitent l'échange d'information fortuit, l'espace du frottement, intègrent une intelligence par m2 même dans les espaces cachés de la distribution verticale des immeubles. Les espaces de création et de loisir, intégrés au code génétique du bâtiment, maintiennent une étroite relation avec la cote zéro de la rue tout en animant les relations avec les commerces et services de proximité. L'espace transdisciplinaire @kubik, situé dans le quartier de Gracia à Barcelone en est un exemple. Là sont localisées 33 petites et très petites entreprises, qui génèrent des synergies économiques et individuelles. La nouvelle typologie des équipements urbains s’exprime aussi avec l'apparition de containers culturels voués à l'information, transgénérationnels, appelés Citylab, Telecentres ou autres, où il s'agit de familiariser les citoyens à l'usage des nouvelles technologies. D’autres, comme les Tecnocampus, se concentrent sur l'éducation à partir d’Internet et favorisent les entreprises émergentes de la nouvelle économie. Ces typologies se traduisent dans le tissu commercial de la rue et des circuits logistiques. Même si nous pouvons acquérir presque tous biens consommables par Internet, les commerces de proximité développent une valeur ajoutée d’expérimentation sensorielle, au-delà du simple acte de consommation, sans oublier l’indispensable présence humaine. Au final, apparaissent des opportunités insoupçonnées de gérer et d’optimiser les flux urbains et territoriaux, en libérant l'espace public des infrastructures. Des expérimentations en grandeur réelle, comme celle du District 22@bcn, à Barcelone, en sont la preuve. La mise en place d´un PLU qui est capable de dégager du sol publique En partant d’une coupe sur la rue, on parvient à faire une ville grâce à une cote zéro libérée des éléments qui font barrière architectonique (compteurs, containers à ordures, signalétique, l'éclairage et les feux rouge, etc..) regroupés dans un seul bloc. L'innovation urbaine consiste donc à penser le territoire depuis la coupe, c'est-à-dire à organiser ce qui circule au-dessus du niveau de la rue, en relation directe avec le sous-sol, avec une gestion intégrée des infrastructures. Basées sur un réseau majeur, celles-ci sont situées dans une galerie technique qui quadrille le territoire et distribue les fluides aux îlots. Un niveau d'épuration des eaux, qui intègre une station pour sécher la boue utilisée pour refroidir les tubes de la climatisation centralisée, le ramassage pneumatique des ordures, une centrale électrique de cycle combiné et une station de production d'énergie renouvelable, constituent l'ensemble des infrastructures de ce nouveau quartier. Au final, elles ne représentent plus une rupture dans le tissu urbain car elles sont intégrées dans la topographie et ont été transformées en espace public. C’est le cas du parc de la Pau, qui dissimule en partie l'espace d'incinération des ordures, entre autres.

Cette gestion globale des infrastructures est certes plus facile à réaliser dans les nouveaux quartiers mais la volonté politique peut prendre en compte ce concept d'acupuncture urbaine, édifice par édifice, pour refonder la cité à partir de flux intelligemment étudiés avec une éco-logique.

5. La ville 3T : technologie, talent, tolérance

Face à l'hyper connectivité, s’esquisse une ville généreuse et non générique, une ville communautaire. Une ville éducatrice qui favorise la vie en commun aussi bien dans l'espace public historique que dans la sphère du public-privé, au sein de différentes communautés qui forment des citadins responsables et humanisés. En s'appuyant sur le capital humain afin de promouvoir le talent et l'imagination. Et en développant l'enthousiasme et l'implication des citoyens dans la gestion de leur ville. S'il faut vivre dans une harmonie et un équilibre entre les trois environnements, urbain, naturel et cyberspatial pour édifier une société équilibrée, et si la population mondiale se concentrée encore plus dans les villes, il faut sérieusement reconsidérer l’espace en recyclant le territoire de l'urbanisme dispersé, en le densifiant et en lui apportant une complexité et une intensité nouvelle.

En recyclant nos villes, en les dotant de mécanismes qui intensifient l'usage des équipements et génèrent un espace public supplémentaire mais déjà structuré[i]. Recycler les infrastructures s’apparente à une sorte d’acupuncture urbaine, en considérant l'espace public comme le moteur de la e-Polis. Une ville qui de développe au delà des balayages conventionnels, sensoriels, olfactifs, tactiles, adaptables, sans barrières. Une ville ludique et ouverte, pensée pour les personnes et depuis les personnes. Avec un concept dynamique de la vie, dans un environnement en relation directe avec quelques formes de conduite en constante transformation, dans un territoire éducateur. Avec la capacité de transmettre en même temps une sagesse ancestrale et des usages innovants. Dans son sens le plus généreux, l'espace public s’affirme comme l'élément clé de la construction d’une nouvelle identité collective.

[i] NDLR. La question n’est pas seulement urbanistique ou architecturale. Elle est aussi économique. L’optimisation des équipements collectifs, notamment dans le temps, est évidemment un moyen d’accroître leur utilité et leur rentabilité socio-économique. Il en va de même pour l’ensemble des infrastructures et équipements dimensionnés, notamment pour des questions de sécurité, sur des données de fréquentation pointe mais qui, de ce fait, restent inemployés la plupart du temps.

e-Polis

L’auteure

Chilienne, naturalisée française, installée à Barcelone depuis 1992, Carmen Santana est architecte et urbaniste. Elle enseigne à l’Ecole d’architecture de Barcelone et à l´Ecole de design Elissava. Elle défend un urbanisme vivant, fondé sur l’interaction entre le bâti et son environnement. Un concept qui fait de l’espace public l’élément moteur de tout projet.

Copyright Carmen Santana, octobre 2010 - La Lettre Immobilier - Territoires - Environnement – Mobilités. Adaptation française par Yves Schwarzbach. Texte complet avec notes et illustrations. Parution le 21 octobre 2010. Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que leur auteur. Crédits photo : Archikubik, DR.

Tag(s) : #Urbanisme, #Smart city
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