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Par Bartolomeu
Deux années après l’effondrement de Lehman Brothers les économistes sont partagés, couvrant par leurs prévisions le spectre des possibles : depuis la reprise économique dans un climat inflationnistes et hausse des taux d’un côté, jusqu’au ‘double dip’, dépression, déflation, taux tendant vers 0 à l’opposé.
Comme dans toutes les périodes de grande incertitude les chartistes, d’ordinaire considérés comme des praticiens de sciences parallèles, voire occultes, retrouvent un crédit qui leur est souvent refusé.
Le travail d’Elliot relève de cet art divinatoire : l’analyse technique, terrain d’exploration de la formation du prix des valeurs mobilières à rendement variable sur les marchés boursiers, cherche, à explorer le passé pour prédire l’avenir sous forme de représentations graphiques.
S’y combinent :
- les cours qui varient a priori en fonction de l’offre et de la demande et qui font, comme sur tous les marchés, l’objet d’interventions d’acteurs aux objectifs différents, aux anticipations divergentes,
- leurs modes de représentation, que leurs auteurs voudraient nécessairement homogènes, alors qu’un même modèle est insuffisant pour décrire des situations différentes,
- un indicateur du temps, élément jugé essentiel dans tous les phénomènes d’anticipation, qui est le plus souvent représenté selon une échelle universelle.
Ces graphiques sont sujets à des aberrations multiples, d’autant plus importantes qu’elles sont le produit des insuffisances ci-dessus effleurées. Les spécialistes qui les utilisent cherchent à déceler la répétition d’images et à en déduire des mouvements de cours, haussiers ou baissiers.
Certains donnent à leurs travaux une démarche scientifique. C’est le cas, par exemple, d’A.W. Cohen qui en 1947, a publié un travail remarquable où il répertorie certaines figures caractéristiques, annonciatrices de possibles variations significatives des cours. Il utilise les grandes valeurs cotées à Wall-Street et décrit la probabilité des variations en hausse ou en baisse, mais aussi quantifie les risques d’erreurs et en chiffre les conséquences.
Les chartistes, Cohen comme les spécialistes de méthodes graphiques différentes, dont Elliot, mettent en évidence le taux élevé d’évènements exceptionnels, qui confère, dans le meilleur des cas, à l’analyse technique une place marginale dans les processus de décision d’investissement.
La limite de l’exercice tient aux propriétés de l’information, matière première de la formation des cours, mais aussi et surtout à sa circulation.
Un graphique n’est rien d’autre qu’une présentation des cours. Selon des modes différents. Leur intérêt spécifique est la mise en évidence réussie des interventions de l’ensemble des opérateurs du marché qui se répartissent en deux grandes familles : les initiés et ceux qui ne le sont pas. Acheteurs et vendeurs ne disposent pas des mêmes informations. Les conflits que décrivent les graphiques, sous des formes dissemblables d’accumulations temporaires – que l’on peut répertorier avec plus ou moins de succès - ne sont qu’apparents. Les cours, comme disent les spécialistes, sont appelés à sortir à la hausse, ou à la baisse. Les initiés en connaissent le sens. Le prévoir est là l’art du chartiste.
Cette inégalité devant l’information a été contestée pendant un demi-siècle. Eugène Fama, le père des marchés efficients, naît en 1938, l’année où Elliot formulait son Principe de vague, affirmait au début des années soixante que « dans un marché suffisamment large où l’information se répand instantanément les opérateurs réagissent correctement et quasi immédiatement aux informations s’ils ont la capacité cognitive de les interpréter avec justesse ». L’analyse technique est durant cette longue période le plus souvent critiquée. Ainsi Fama précise-t-il : « les mouvements de prix ne peuvent être prédits d’aucune façon. En particulier, les mouvements de prix passés ne peuvent servir à prédire l’avenir ».
Alors que les travaux d’Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie en 2009 (première femme récompensée par ce titre) prolongent, sous un angle différent, l’idée générale de l’initié dominé par le plus grand nombre, expression statistique du bien public, le constat s’impose : depuis quelques années cet idéal cède peu à peu sa place à la réalité : l’inégalité devant l’information, comme en bien de domaines, est la règle.
Les disciplines divinatoires, qui survivent aux théories, retrouvent ainsi une vigueur certaine. Elliot continue d’intriguer et fait rêver. Son alchimie en vaut bien d’autres.
Quelle place pour cette technique ? La réponse appartient à l’investisseur. Car en réalité l’intérêt de l’analyse technique est vraisemblablement inversement proportionnel au temps que l’investisseur se donne pour obtenir un résultat.
Dans le cadre de l’investissement à long terme elle n’est d’aucune utilité.
A l’opposé, l’analyse technique peut permettre d’obtenir des résultats dans les choix d’investissement à très court terme. Il faut alors, pour jouer – mathématiquement - se doter de moyens considérables. Modéliser l’improbable. Ce qu’on fait certains funds dits alternatifs. Avec plus ou moins de succès.
Le ‘high speed trading’ a mis en danger l’édifice financier le 6 mai dernier, provoquant un mini krach d’une violence jusque-là inconnue.
Effondrement inquiétant. La faillite de LTCM (1)(2) en 1998 n’a pas servi de leçon.*
Notes
(1) Les engagements de l’ancien trader de la Société Générale, Jérôme Kerviel, ont été évalués à 50 milliards d’€. Ceux de LTCM à l’automne 1998 dépassaient 1.200 milliards de $.
(2) Long Term Capital Management est un hedge fund qui a été créé en 1994. Son fondateur John Meriwether, 52 ans, s’était bâti en 25 ans une réputation de trader hors-pair fondée sur sa capacité à prévoir les comportements humains : John Meriwether était champion du bluff et roi du jeu. En revanche, la gestion du fonds va reposer sur une approche purement quantitative et mathématique. Parmi les associés figuraient deux futurs lauréats du prix Nobel d’économique, Myron Scholes et Robert Morton. En 1997, ils partageront le prix Nobel d’économie pour leur modèle mathématique d’évaluation des options. Chaque investisseur apporte un minimum de 10 millions de dollars, qui seront bloqués pendant trois ans, sans avoir le droit de regard sur les transactions de LTCM, avec des commissions parmi les plus élevées du marché: 2 % des fonds investis et le quart des gains. Chacun croit à l’infaillibilité de LTCM qui lève 1,3 Mds$ – lexinter.net - .
Les opinions exprimées dans ce billet n’engagent que leur auteur. Copyright Patrick Mathieu Saint-Lubin, octobre 2010