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Trois questions à Vincent Pilloy_ Inov 360

Polytechnicien et diplômé de l'Ecole nationale supérieure des Télécommunications, Vincent Pilloy (44 ans) accomplit un parcours de spécialiste du lancement de nouveaux produits et de nouvelles activités, au sein de PME spécialisées dans l’imagerie et l’impression numérique, puis est à l’origine du lancement de ViaMichelin, dont il dirige le marketing et le développement commercial. Il crée Inov360 en 2008 pour accompagner les entreprises mais aussi les collectivités et les maîtres d'ouvrages dans le management stratégique et la conduite du changement liés aux nouvelles technologies. Inov360 intervient sur notamment sur des projets liés à l’environnement, la ville intelligente, le smart grid, ou encore les nouvelles mobilités.

ITeM info : Le terme de Smart City est souvent synonyme de ville plus facile, plus belle, donc plus humaine. C’est la ville mieux vécue par tous. La ville 2.0, c’est la cité où le Web 2.0/3.0 développent les potentialités d’interactivité inhérentes à la Polis elle-même. C’est la ville de l’intelligence collective. Dans la réalité, on voit plutôt des compteurs et des boîtiers, des câbles, etc. Où en est-on sur le plan technologique ?

Vincent Pilloy : Les solutions technologiques mises en œuvre pour rendre la ville intelligente comportent en général 3 parties : les capteurs/activateurs intelligents, le réseau qui relie ces capteurs au système d’information, et l’application qui définie le paramétrage et le comportement de la solution.

Quand on évoque le thème de la « Smart City » ou de la « Ville 2.0 », on lui associe tout d’abord la possibilité d’intégrer dans la ville une multitude de capteurs/activateurs intelligents. C'est le premier niveau du dispositif, pour lequel les enjeux technologiques consistent généralement à fiabiliser, à miniaturiser, et à augmenter l’autonomie (en particulier pour les systèmes alimentés sur batteries). Etant donné le nombre généralement très élevé de capteurs à déployer, le coût unitaire de ces produits constitue également un élément critique de la viabilité économique de la solution.

Le deuxième niveau concerne les aspects de communication pour lesquels les situations extrêmement complexes et variées rencontrées dans les environnements urbains ont donné naissance, dans un premier temps, à autant de solutions propriétaires et spécifiques que d’applications verticales. De nombreuses réflexions sont actuellement en cours pour faire adopter le protocole Internet comme le réseau standard et interopérable pour connecter les objets intelligents. Une telle évolution constitue certainement un virage décisif pour cette industrie et permettrait de considérablement accélérer le développement du troisième niveau, celui des applications, à l’instar de ce qu’internet a apporté dans le domaine de la création et de la diffusion des informations et des services aux centaines de millions d’utilisateurs connectés.

Une fois « libérée », c’est certainement sur cette dimension applicative que le potentiel de création est le plus important. Il passera inévitablement par l’apprentissage progressif des besoins réels et des usages adoptés. On peut anticiper un passage de la mesure ou du contrôle au pilotage et au management, avec une interactivité croissante.

ITeM info : La conséquence de ce développement dans la vie quotidienne n'est-elle pas une certaine uniformisation des comportements, sinon une perte de liberté pour le citoyen ?

Vincent Pilloy : Au contraire. Cette effervescence technique va sans aucun doute provoquer une multiplication significative du nombre de produits et de systèmes. Loin de créer de l'uniformisation, elle doit stimuler une grande variété d’usages auprès des utilisateurs. Il ne faut pas confondre intégration technique ou standardisation, et perte de liberté ou uniformisation des usages.

Les informations et services liés aux déplacements constituent un bon exemple. Ainsi, alors que se multiplient les offres de mobilité (métro, tramway, bus, autopartage, vélo, covoiturage, taxi…), la capacité à fournir à l’utilisateur une vision synthétique et complète des possibilités qui lui sont offertes, lui permet d’adopter des modes de déplacement plus variés, et d’y intégrer une multitude de paramètres personnels.

On peut ainsi mettre en regard du concept de « smart city » celui de « smart citizen », qui sous-entend bien sûr une affinité avec les technologies numériques. Mais chaque habitant doit pouvoir « vivre sa ville » en mode déconnecté s’il le souhaite. C’est certainement une problématique qui devra rester inscrite dans l’esprit des concepteurs. Le numérique peut offrir un plus, son absence ne doit pas générer un handicap.

ITeM info : Evolution et diversification des pratiques, donc autonomie croissante mais, réciproquement, intégration accrue et dépendance possible. Ceci signifie-t-il que de nouveaux rapports à la gouvernance des villes et des territoires vont émerger ?

Vincent Pilloy : Il y a en effet un débat «Automatisation/Régulation » versus « Aide à la décision/Contrôle». Le terme Smart City sous-entend une intelligence propre à la ville elle-même, et donc une certaine capacité à « prendre des décisions ». A mon sens, il faut plutôt imaginer une intelligence héritée des personnes qui conçoivent et mettent en place ces nouvelles technologies.

Là encore, en face du concept de « smart city » se dégage la notion de « smart city master » (au sens administrateur). La complexité croissante mais aussi l’interdépendance des dispositifs intelligents de pilotage font (et vont continuer à faire) apparaître de nouveaux métiers au sein des villes, exigeant une compréhension fine des processus de fonctionnement en œuvre mais aussi une perception globale de leurs impacts. Néanmoins, l’expertise technique ne remplacera pas la dimension politique qui devra rester à l’origine de certains choix, et notamment fournir les orientations qui donneront à la ville sa « personnalité ».

Pour illustrer ce propos, prenons l’exemple des dispositifs de pilotage de l’éclairage urbain. La ville intelligente peut offrir un environnement dans lequel l’allumage ou l’extinction dépend simplement de la lumière du jour. Ce cas simple peut se sophistiquer : l’allumage peut alors comporter deux niveaux d’intensité : forte en début et fin de nuit, et faible en pleine nuit. Une autre ville peut décider une extinction totale entre 1h et 5h du matin par exemple, pour privilégier un arbitrage en faveur des économies d’énergie. Pour aller un peu plus loin dans la capacité à offrir un environnement « personnalisé », je citerai l’exemple intéressant d’une petite ville allemande qui procède à une extinction de ses lampadaires tôt dans la nuit, mais permet à ses habitants de déclencher pendant 15mn l’éclairage de l’itinéraire emprunté pour rentrer à leurs domiciles par un envoi de sms. Pour une ville connaissant une forte activité saisonnière avec d’importantes variations de population, on peut aussi imaginer un mode « haute saison » et un mode « basse saison », avec un service plus limité. Autant d’exemples qui illustrent la possibilité pour chaque ville de se définir une « personnalité », à travers le paramétrage des systèmes.

On peut alors imaginer une nouvelle segmentation des villes, non plus en fonction de leur taille mais selon leur degré d'intégration dans le monde numérique et leur ergonomie : la ville hyper complexe, multi-dimension, exponentielle, versus la ville simple ou linéaire. Cette ville 2.0 qui se construit sous nos yeux, il faudra bien sûr que nous en prenions collectivement conscience et que nous l'apprenions. Par exemple, découvrir et maîtriser tout ce qui résulte de la logique d’appropriation qu'impliquent les nouvelles technologies urbaines. Et on sait bien qu'en matière de diffusion de l'innovation, c'est souvent le facteur humain qui est le plus important.

Interview réalisée le 17 janvier 2011. © ITeM info janvier 2011.

Tag(s) : #Smart city
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