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Illustration ITeM info. DR.
Illustration ITeM info. DR.

Sage décision, émanant d’un gouvernement dont, selon N. Kosciusko-Morizet, l’ambition est intacte, manœuvre dilatoire permettant aux majors de capter des bribes de part de marchés face à des PME opportunistes ?

Depuis quelques jours, les énergies nouvelles et renouvelables (ENR) se trouvent sous les feux de l’actualité, avec la décision du Conseil d’Etat disant qu’il est urgent d’attendre, l’annonce par EDF EN du lancement dans le Gard du plus grand projet photovoltaïque de France, le coup d’envoi donné par Nicolas Sarkozy sur l’éolien off-shore et le 12e colloque du Syndicat des Énergies Renouvelables sur le thème « fantasmes et réalités ».

Que le grand public le découvre par un truchement qui concerne directement son porte-monnaie (hausse des tarifs de vente de l’énergie, hausse de la fiscalité via la contribution au service public de l’énergie) est emblématique d’un dysfonctionnement structurel de la France, pudiquement baptisé « exception française ».

Au delà d’un débat sur lequel pèsent à la fois des présupposés idéologiques, l’écologisme communiquant de quelques marchands de craintes, et la logorrhée du greenwashing, et comme le disent les Anglo-Saxons, deux réalités font évidence :

1. La question énergétique est cruciale dans toute économie

A l'homme ont succédé les chevaux et les bœufs, puis le charbon et la vapeur, puis le pétrole et l'atome - dont on connaît les risques, Hiroshima et Tchernobyl en témoignent. La diversification des sources énergétiques reste aussi stratégique que leur maîtrise. Au delà du folklore écolo, le pic de Hubbert est une réalité. Le seul vrai débat est de savoir quand il interviendra... Au fond, la différence entre un survenance dès 2015, comme le pensent les pessimistes, ou 2050 ce que croient les optimistes est celle qui existe entre un choc mal anticipé et un tuilage stratégique. A preuve, tous les groupes pétroliers ou gaziers se diversifient : solaire à condensation, schistes bitumineux, etc. Tous les groupes automobiles investissent dans les véhicules électriques et les batteries. Ce n'est pas une mode mais une adaptation stratégique. Nous sommes à la veille d'une mutation profonde de nos sources d'énergie. D'où les enjeux, qui ne sont pas seulement environnementaux, mais aussi économiques. Que l'Etat français agisse pour protéger EDF, GDF Suez, Alstom, etc, de la concurrence de Siemens, GE Wind ou autres, n’a rien de surprenant et relève d'une conception nationaliste du libre échange, traditionnelle dans ce pays. La France terrienne protège ses prés carrés et ses vaches à lait. Que cela se traduise, dans ce domaine comme dans bien d’autres, les transports notamment, par une entrave à la liberté d'entreprendre est bien plus grave. C'est d’ailleurs la vrai question posée par les PME du secteur photovoltaïque dans leur recours perdu contre le décret "moratoire".

2. La question carbone est une donnée incontournable du nouveau monde.

Pourquoi ? D'abord, et c’est ce que rappelle Anne-Laure Saint Girons, parce qu'elle relève depuis au moins 10 ans du droit national et international. On a sans doute trop focalisé l’attention sur les GES. A tort ou à raison car le débat scientifique n'est pas clos, le débat politique encore moins (cf Cancun II et le rôle qu’entend jouer l’Inde) et le débat démocratique à peine esquissé... puisqu'il n'a guère été ouvert en France que par les ONG, les partis écologistes et un candidat à la présidentielle qui voulait attirer à lui la mouvance écolo-bien pensante.

Ensuite parce que le carbone est un marché, international, régulé, certes méconnu du grand public, celui des quotas ou « droits à polluer ». Un marché dont le fonctionnement présente d’ailleurs des paradoxes intéressants au regard du rôle rénovateur de la crise économique.

Incontournable aussi parce qu'une économie fondée sur les hydrocarbures est une économie qui nuit à la santé. Les dérivés aromatiques et PM10 issus de la combustion d'hydrocarbures sont plus graves que le CO2. On se souvient d'ailleurs que l'une des motivations – majeures, réelles et urgentes - de l'urbanisme haussmannien comme de l’aménagement sarcelllien était l'hygiène et la santé de la population. La problématique est la même. Avec un débat - lui aussi économique et politique - sur les coûts comparés de la surmortalité (impact sur l'équilibre du système de soin et d'assurance maladie et vieillesse) et de l'adaptation à une réglementation contraignante donc protectrice, qui pèsent sur les marges des entreprises… et les force à l’innovation.

Enfin, parce que les industries et les villes émergentes (Chine notamment mais ailleurs aussi) sont des usines et des villes neuves, à faible empreinte carbone. Ceci se traduit économiquement par une sortie de l'univers ricardien ou du théorème HOS, lequel suppose constants les facteurs de production. Ce qu'illustre la question carbone ou, comme le disent les initiés, le Facteur 4, est une mutation de ces facteurs de production. Un changement au moins aussi important que la e-mutation qui a conduit à la dématérialisation d'une grande partie de l'économie mondiale.

La question énergétique ne relève donc pas seulement de la préservation de la planète et de la préoccupation de soutenabilité mais aussi, fondamentalement, de l'économie. Plus particulièrement de structures économiques et du modèle de développement de longue période. Je n'emploie pas le terme de régime à dessein car nous restons, évidemment, dans le régime capitaliste. Si la rentabilité du modèle économique des ENR pose problème en France, il faut peut-être en chercher les causes ailleurs que dans un conjoncturel effet d’aubaine – certain mais marginal. Et la trouver, sans doute et en grande partie, dans l’histoire de la structuration du secteur énergétique français au sens large qui, de complexe politico-industriel de type quasi soviétique a, en quelques années, opéré sa mue, en apparence libérale, pour devenir un oligarco-oligopole. C’est aussi parce que les industriels français produisent très peu de composants de la filière ENR sur le territoire national, et assez peu dans l’absolu comparés à leurs concurrents européens, américains ou asiatiques. C’est enfin parce que les coûts d’ingénierie et de construction affichent ici des écarts de 20%, sinon plus, par rapport à ceux observés ailleurs en Europe… que le différentiel de coût de main d’œuvre ne suffit pas à expliquer. Notamment par rapport à l’Allemagne.

En filigrane, c’est la question de la gouvernance économique, globale ou régionale – au sens de grandes régions du monde - qui se pose. Elle s’exprime autant par les décisions étatiques que par celles des tribunaux, de plus en plus lourdes de conséquences, et se pose en termes de droit positif. C’est le cas en matière économique mais aussi d'aménagement du territoire, d'urbanisme et de l'environnement, puisque la territorialisation des activités économiques nécessite des installations, bâtiments, etc. Sur ce plan comme sur d’autres, la France peine à prendre le tournant du siècle, à admettre l’émergence de la décision consensuelle et de la logique bottom-up, à reconnaître que les pouvoirs locaux des métropoles qui se dessinent à travers le monde exercent des pouvoirs bien plus étendus que ceux des dirigeants de nombreux Etats. Or la gouvernance des prochaines années sera celle des CEO, des Maires et des peuples, pas celle des états-nations.

L'auteur

NDLR : Modestus van Gulden est économiste. Il signe depuis septembre 2010 la rubrique « le chiffre » de la Lettre ITeM info.

Copyright Modestus Van Gulden pour ITeM info, février 2011. Les opinions exprimées dans cet article n'engagement que leur auteur.

Tag(s) : #Energie, #Van Gulden, #Economie
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