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Diplômé de Paris II Panthéon-Assas, Jean-François Benon (50 ans) est directeur général du CEEVO, le Comité d’expansion économique du Val d’Oise. Convaincu que les compétences de la main d’œuvre et la qualité des formations constituent pour les dirigeants d’entreprises des critères d’implantation aussi importants que l’accessibilité des parcs d’activité, la présence des infrastructures et la qualité de l’environnement, il œuvre depuis une quinzaine d’années pour renforcer l’attractivité de ce département de la seconde couronne francilienne, le plus jeune d’Ile-de-France pour la moyenne d’âge de sa population. Le Val d’Oise, dont 60 % du territoire est couvert par deux Parcs naturels régionaux, présente la particularité d’’accueillir aussi bien les sièges sociaux de SPIE ou ATOS ORIGIN, la Fondation Royaumont, l’ESSEC, l’aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle que des agglomérations à forte densité comme Cergy-Pontoise, Sarcelles ou Argenteuil. Disposant grâce au CEEVO de bureaux de représentation au Japon et en Chine, le Val d’Oise bénéficie aussi d’activités de R&D et de projets collaboratifs associant entreprises, établissements d’ens
ITeM info : Les délocalisations mais aussi le débat sur la taxe professionnelle et la création de la nouvelle CET ont rappelé l’importance du lien entre entreprises et territoires. Aujour’hui, comment définiriez-vous cette relation ?
Jean-Francois Benon : Les relations entre les collectivités territoriales et des entreprises intègrent naturellement l’intérêt des retombées fiscales pour les représentants des territoires, dans le cadre de ce qui était jusqu’à récemment la taxe professionnelle. Cette perspective de recettes fiscales participait aussi, il faut bien le dire, à favoriser l’ « acceptabilité » sur un territoire d’un certain nombre d’activités industrielles dont la perception première n’était pas toujours favorable, compte tenu des nuisances générées par les établissements. D’une certaine façon, les avantages financiers venaient ainsi compenser les inconvénients perçus ou imaginés.
La réforme de la fiscalité locale pour les activités économiques et la mise en place de la contribution économique territoriale (CET) vient modifier cet équilibre et ce mode de relations entre les entreprises et les collectivités territoriales. Force est en effet de constater que ce ne sont plus seulement les perspectives de nouvelles recettes fiscales qui prévalent dans leurs rapports. Parmi les éléments qui sont désormais la clé des négociations entre les responsables d’établissements et les élus locaux, l’impact des activités économiques en termes d’emplois pour les populations locales est un élément déterminant. Car il ne suffit pas d’attirer des entreprises créatrices ou apporteuses d’emplois sur le territoire, encore faut-il que ces emplois puissent, à court ou moyen terme, bénéficier aux habitants, faute de quoi les motivations d’une installation d’un établissement industriel ou logistique peuvent être aisément contestées.
A contrario, la réforme fiscale peut entraîner également une évolution dans la nature des attentes des entreprises. Celles-ci souhaitent bien entendu que les territoires qui les accueillent mettent à leur disposition des équipements et des infrastructures nécessaires à leur activité et suffisamment dimensionnés, mais elles font part aussi d’une attente forte sur la capacité des acteurs locaux à favoriser la disponibilité de personnels compétents et formés. Il s’agit clairement d’un critère désormais déterminant dans les choix de localisation pour les entreprises sur un territoire, qu’il s’agisse d’ailleurs d’entreprises régionales ou internationales.
Pour favoriser la disponibilité de jeunes diplômés ou de salariés disposant des connaissances ou des compétences correspondant aux besoins des entreprises, il est naturellement indispensable que des échanges, des négociations, et des discussions soient engagées avec les représentants des sphères économiques et sociales territoriales le plus en amont possible. Il convient également de prévoir une anticipation et une réflexion prospective, dans les discussions avec les acteurs locaux, afin d’adapter les formations ouvertes sur le territoire par rapport aux besoins exprimés par les responsables des entreprises qui y envisagent une localisation.
En quelque sorte, la relation entre les entreprises et territoires s’équilibre progressivement. Elle est désormais clairement bâtie sur une base « gagnant-gagnant ». Il s’agit en effet de faire preuve, dans ces échanges, d’un réel pragmatisme, car la notion d’ancrage territorial dépend à présent du succès d’une négociation équilibrée entre les dirigeants des sociétés et les acteurs politiques, institutionnels et économiques des territoires. Cela passe par une conception de la fiscalité locale touchant les entreprises intégrant, en quelque sorte, une logique de développement durable. Ces échanges se bâtissent, si l’on souhaite qu’ils soient efficaces et durables, dans un esprit qui s’apparente à une forme de contractualisation, intégrant une fiscalité « soutenable », sur la base d’un rapport responsable et équilibré. De ce point de vue, on peut considérer qu’au cours des derniers mois, compte tenu des réformes fiscales et territoriales engagées et annoncées, les règles du jeu du développement local ont commencé à changer.
ITeM info : Les disponibilités foncières, le niveau des loyers immobiliers mais aussi la desserte, l’aménagement et l’équipement des zones d’activité ou tertiaires sont bien entendu stratégiques pour le développement économique du territoire. Quelle est votre analyse sur le sujet, plus particulièrement dans un département de seconde couronne comme le Val d’Oise et au regard du Grand Paris ?
Jean-Francois Benon : Les stratégies d’aménagement économique des territoires s’appuient bien entendu toujours sur les éléments fondamentaux que constituent la qualité des infrastructures, la présence d’équipements structurants, et la densité des dessertes en transports en commun, ainsi que sur des disponibilités foncière et immobilière, tout comme sur l’existence d’une capacité locale à la mise en réseau des acteurs économiques. Mais ces stratégies passent surtout, aujourd’hui, par la capacité des territoires à favoriser l’accès de leurs habitants à des compétences renouvelées « tout au long de la vie », d’une part, et par un soutien aux capacités d’innovation des petites et moyennes entreprises, d’autre part.
En grande couronne parisienne, il s’agit d’enjeux déterminants. Car si le dynamisme économique, constaté au sein de l’Île-de-France, est réel sous la forme de l’attractivité du territoire pour l’accueil de nouvelles entreprises françaises et étrangères, ainsi que pour l’implantation d’activités et d’emplois, force est de constater que ce dynamisme ne profite que faiblement aux habitants qui résident sur ces territoires. L’exemple du secteur géographique situé autour de l’aéroport Paris Roissy Charles-de-Gaulle est à ce titre édifiant. Les trois départements franciliens directement concernés sur le plan territorial par cette plate-forme aéroportuaire internationale, la Seine-Saint-Denis, la Seine-et-Marne et le Val-d’Oise, ne bénéficient depuis de nombreuses années que trop peu des créations d’emplois générés par l’activité aéroportuaire. Chacun de ces département ne voit en effet ses habitants n’accéder qu’à 15 % environ des emplois créés sur la plate-forme aéroportuaire, alors même qu’il s’agit de la « zone d’emploi » INSEE la plus dynamique sur le plan national. À quelques kilomètres à peine des pistes de l’aéroport Charles-de-Gaulle, persistent ainsi des niveaux de chômage bien supérieurs à ceux des moyennes régionales et nationales.
Il est donc désormais déterminant, a fortiori au moment où se dessinent les contours d’un aménagement du territoire régional renforcé dans le cadre de la loi sur l’organisation de la région Capitale (le « Grand Paris »), que des évolutions soient mises en place sur le plan territorial pour renforcer l’accès à des formations adaptées aux emplois créés sur place. Cela suppose de privilégier la création d’équipements de formation en s’appuyant sur une démarche associant les responsables institutionnels et économiques locaux et les entrepreneurs.
Enfin, en termes d’innovation et de recherche, et dans le cadre, encore une fois, des stratégies d’aménagement du « Grand Paris », il faut pour la grande couronne d’Ile-de-France que soit envisagée avec lucidité les enjeux de la localisation des équipements majeurs, qu’il s’agisse de laboratoires ou d’établissements d’enseignement supérieur et scientifique. Une stratégie bâtie autour de pôle d’excellence de niveau mondial, avec une mise en réseau étroite (ce que permettent les liaisons de télécommunications à très haut débit utilisant la fibre optique) avec des sites périphériques maillant le territoire dans le cadre d’un aménagement multipolaire de la région, est très certainement l’une des pistes à soutenir. Faute de quoi, le risque est réel d’une forme de « dislocation » des équilibres territoriaux, dans un contexte où les évolutions des coûts des logements incitent les familles à des migrations depuis le centre de la métropole parisienne vers la deuxième couronne.
ITeM info : Les disponibilités foncières, le niveau des loyers immobiliers mais aussi la desserte, l’aménagement et l’équipement des zones d’activité ou tertiaires sont bien entendu stratégiques pour le développement économique du territoire. Quelle est votre analyse sur le sujet, plus particulièrement dans un département de seconde couronne comme le Val d’Oise et au regard du Grand Paris ?
Jean-Francois Benon : Les stratégies d’aménagement économique des territoires s’appuient bien entendu toujours sur les éléments fondamentaux que constituent la qualité des infrastructures, la présence d’équipements structurants, et la densité des dessertes en transports en commun, ainsi que sur des disponibilités foncière et immobilière, tout comme sur l’existence d’une capacité locale à la mise en réseau des acteurs économiques. Mais ces stratégies passent surtout, aujourd’hui, par la capacité des territoires à favoriser l’accès de leurs habitants à des compétences renouvelées « tout au long de la vie », d’une part, et par un soutien aux capacités d’innovation des petites et moyennes entreprises, d’autre part.
En grande couronne parisienne, il s’agit d’enjeux déterminants. Car si le dynamisme économique, constaté au sein de l’Île-de-France, est réel sous la forme de l’attractivité du territoire pour l’accueil de nouvelles entreprises françaises et étrangères, ainsi que pour l’implantation d’activités et d’emplois, force est de constater que ce dynamisme ne profite que faiblement aux habitants qui résident sur ces territoires. L’exemple du secteur géographique situé autour de l’aéroport Paris Roissy Charles-de-Gaulle est à ce titre édifiant. Les trois départements franciliens directement concernés sur le plan territorial par cette plate-forme aéroportuaire internationale, la Seine-Saint-Denis, la Seine-et-Marne et le Val-d’Oise, ne bénéficient depuis de nombreuses années que trop peu des créations d’emplois générés par l’activité aéroportuaire. Chacun de ces département ne voit en effet ses habitants n’accéder qu’à 15 % environ des emplois créés sur la plate-forme aéroportuaire, alors même qu’il s’agit de la « zone d’emploi » INSEE la plus dynamique sur le plan national. À quelques kilomètres à peine des pistes de l’aéroport Charles-de-Gaulle, persistent ainsi des niveaux de chômage bien supérieurs à ceux des moyennes régionales et nationales.
Il est donc désormais déterminant, a fortiori au moment où se dessinent les contours d’un aménagement du territoire régional renforcé dans le cadre de la loi sur l’organisation de la région Capitale (le « Grand Paris »), que des évolutions soient mises en place sur le plan territorial pour renforcer l’accès à des formations adaptées aux emplois créés sur place. Cela suppose de privilégier la création d’équipements de formation en s’appuyant sur une démarche associant les responsables institutionnels et économiques locaux et les entrepreneurs.
Enfin, en termes d’innovation et de recherche, et dans le cadre, encore une fois, des stratégies d’aménagement du « Grand Paris », il faut pour la grande couronne d’Ile-de-France que soit envisagée avec lucidité les enjeux de la localisation des équipements majeurs, qu’il s’agisse de laboratoires ou d’établissements d’enseignement supérieur et scientifique. Une stratégie bâtie autour de pôle d’excellence de niveau mondial, avec une mise en réseau étroite (ce que permettent les liaisons de télécommunications à très haut débit utilisant la fibre optique) avec des sites périphériques maillant le territoire dans le cadre d’un aménagement multipolaire de la région, est très certainement l’une des pistes à soutenir. Faute de quoi, le risque est réel d’une forme de « dislocation » des équilibres territoriaux, dans un contexte où les évolutions des coûts des logements incitent les familles à des migrations depuis le centre de la métropole parisienne vers la deuxième couronne.
ITeM info : dans cette nouvelle organisation des territoires, on a parfois l’impression que le rôle des structures traditionnelles fédérant les entreprises évolue mais aussi que les clubs d’entreprises, plus ou moins informels, se multiplient. Quelles opportunités peut-on y voir pour le développement et l’innovation dans les territoires ?
Jean-Francois Benon : Depuis deux à trois ans, on relève sur les territoires une réelle accélération de la structuration des modes de relations et d’échanges économiques dans le cadre de réseaux d’un nouveau type, au-delà des organismes institutionnels de la «représentation économique» que sont les compagnies consulaires ou les mouvements patronaux, lesquels travaillent d’ailleurs activement pour accompagner ce mouvement. On note ainsi l’intérêt réel des dirigeants d’entreprises, à l’image des modes de fonctionnement constatés avec les réseaux sociaux dans l’environnement de l’Internet 2.0, pour des connexions par affinités, selon des préoccupations, des centres d’intérêt, des territoires ou des filières communes. On note ainsi une réelle appétence pour des relations B to B de proximité, pour des conventions d’affaires, pour des «Business dating» ou pour d’autre opportunité de contacts directs, y compris sous la simple forme d’échanges de cartes de visites, sur la base d’un temps limité et pour un coût ou une contribution financière faible.
On assiste ainsi à la montée en puissance, sur les territoires, de clubs d’entreprises, des «grappes d’entreprises», des réseaux territoriaux et technologiques, la plupart du temps orientés vers des opportunités concrètes de contacts d’affaires. On peut citer, par exemple, à ce titre, le succès du développement de réseaux d’inspiration américaine (intégrant la notion de networking directement orienté vers les affaires) comme BNI, qui déploient actuellement des antennes locales en France. Ces nouveaux modes d’échange entre les entreprises, à partir du moment où ils peuvent parallèlement permettre des connexions avec les milieux académiques et les acteurs de l’aménagement des territoires, doivent être encouragés. C’est d’ailleurs le sens des actions déployées par les Chambres de commerce et d’industrie, sur les territoires, mais également par les Agences de développement ou les fédérations professionnelles et les organisations patronales, qui soulignent l’importance des fonctionnements en réseau, et qui apportent des soutiens sur le plan logistique à la structuration de ces modes d’échanges. Il me semble que ces modes de fonctionnement, que l’on constate également dans d’autres domaines de la vie locale, sont propices à une efficacité plus forte pour l’émergence d’initiatives depuis les territoires, sur la base d’une forme de relations certainement moins institutionnelles, mais, de façon évidente, beaucoup plus réactives. C’est certainement dans cette capacité de dialogue, à la fois entre les entrepreneurs, mais également entre les dirigeants d’entreprises et les autres acteurs des territoires, que l’on peut imaginer voir se développer dans notre pays des initiatives originales, pragmatiques et issues de l’expérimentation et des bonnes pratiques propices à un renforcement de l’innovation et de la créativité dans les PME-PMI. Autant d’atouts pour la réussite et le développement des territoires du futur dans un monde en mouvement.
Interview réalisée le 25 mars 2011. © ITeM info mars 2011