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Illustration ITeM info. DR.
Illustration ITeM info. DR.

Nous saurons nous en priver. Affiche de propagande, France, 1916. Dessin de Camille Boutet, école communale de filles de la rue Camou, Paris. Photo ITeM info, Marché aux livres anciens du parc Georges Brassens, août 2011, DR.

Par Modestus van Gulden

« Contrairement à un ménage ou à une entreprise, un Etat placé dans l’incapacité ultime de payer ses dettes… ne les paye plus, sans disparaître pour autant du registre du commerce ou de la surface de la terre, c’est-à-dire sans être contraint à la liquidation de son patrimoine pour rembourser ses créanciers », écrivait Eric Cordonnier dans le Monde Diplomatique en mars 2010. Un Etat en cessassion de paiements ne paie pas. L’Argentine ne paie pas ou presque, la Grèce ne paiera pas – en tous cas pas tout de suite : elle ne le peut tout simplement pas. La pression fiscale et la privatisation du port du Pirée ou de quelques fleurons n’y changeront rien. La Grèce sera peut-être la première en Europe mais elle ne sera pas la seule.

On sauvera peut-être les banques, et ce on pourrait peut-être porter un nom chinois à défaut d’être le faux-nez d’Etats qui n’auraient plus les moyens de nationaliser. On imaginera peut-être un moratoire sur les dettes les plus criantes ou bien des structures de défaisance plus ou moins offshorisées, ou encore des plans de relance-stabilisation. On cherchera à éteindre l’incendie en l’arrosant de dollars qui ne feront que noyer les survivants, on taxera peut-être les banques sous capitalisées et on leur interdira peut-être définitivement les ventes à découvert. On augmentera les impôts et on licenciera autant de fonctionnaires que d’employés de banque, tout en priant les dieux de l’économie que la courbe de Phillips ait encore un sens. On imaginera des dévaluations compétitives et du protectionnisme en se disant que les mêmes dieux seraient bien inspirés de favoriser le retour de l’inflation à deux chiffres. On remettra les choses au carré avant d’arrondir les angles pour que tourne la roue de l’Histoire. De part et d’autre de l’Atlantique et du Pacifique, de l’Oural et de la Méditerranée, de la Manche et du Rhin, du Faubourg Saint Honoré ou de la fracture sociale.

On verra néanmoins s’évaporer la capitalisation boursière, fondre le patrimoine immobilier, se volatiliser les retraites par capitalisation, s’amenuiser la consommation et murir les Raisins de la Colère. En Europe du sud comme en Europe centrale, quoique pour des raisons diamétralement opposées. Entre un Euro Radeau de la Méduse et un dollar Barrage contre le Pacifique, on hésitera entre des stratégies aussi suicidaires les unes que les autres, comme l’illustrent les prémisses et les suites de la Grande Dépression. En attendant Godot, c’est à dire un hypothétique changement de cycle ; l’année prochaine à Saint Petersbourg, disaient les princes russes chassés par les Soviets.

Vieille histoire dira-t-on… et qui n’a à faire ni avec l’orthodoxie financière ni avec la vertu politique mais qui concerne plus prosaïquement la monnaie. Et peut-être aussi (surtout ?) le lien entre monnaie, dette, fiscalité et croissance, lien qui ressemble de plus en plus à une bande de Moebius.

L’histoire, que l’on n’étudiera plus en France dans les classes scientifiques en Terminale – les sections économiques sont déjà privées de l’enseignement de la macro-économie – l’histoire donc est une discipline scientifique et non une science exacte. Ce qui ne l’empèche pas d’être parfois clairvoyante : l’ignorance du passé ne se borne pas à nuire à la connaissance du présent : elle compromet, dans le présent, l’action même, écrivait Marc Bloch. Que dire alors de l’économie politique… Sans croissance, augmenter les impôts pour rembourser la dette est un leurre dangereux. Economiquement et politiquement.

A propos d’histoire, donc, on se souvient peut-être que l’endettement public atteignait 120% du PIB en Angleterre à la sortie de la Grande Guerre. Il était de 180% en France, où le service de la dette représentait 45% des recettes budgétaires en 1921.

C’est le moment où l’Angleterre cherche encore à concurrencer le dollar pour conserver à la livre Sterling son statut de monnaie étalon. En avril 1925, Churchill, conservateur puis libéral redevenu conservateur, annonce le rétablissement de la convertibilité or de Sterling à sa parité d’avant-guerre. Contre l’avis de Keynes, qui juge suicidaire la déflation et la perte de compétivitité qui en découlent. Ce qui ne manque pas d’arriver, avec ou sans l’Empire colonial. La grève générale de 1926 est un fiasco qui permet à Churchill de vanter les mérites de Mussolini, qu’il qualifie de « génie romain », mais l’Angleterre entre en déclin. Se souvient-elle que sa rivale des îles Malouines, ou Falkand ou Malvinas, espérait aussi arrimer sa monnaie au dollar dans les années 1990 et, qui sait, s’ancrer dans la démocratie ?

En France, la stratégie – si l’expédient peut faire figure de stratégie – s’appuie au contraire sur une dépréciation de la monnaie (on parlerait aujourd’hui de dévaluation compétitive) et par une inflation suffisante pour alléger la charge de la dette publique. Le pays ramène peu à peu le ratio dette/PIB à 100% puis rétablit la parité avec l’or en juin 1928. En 1935, le budget est en équilibre. On sait cependant que les mesures déflationnistes des gouvernements Tardieu et Laval amplifieront l’impact social de la Grande Dépression. Le Front populaire en gère l’aspect social mais dévalue et creuse le déficit budgétaire. Passés l’épisode Daladier et l’étrange défaite, le même Laval, ancien élu SFIO pacifiste, sera l’artisan de l’entrevue de Montoire.

Et l’Allemagne ? La dette publique continue paradoxalement à augmenter dans l’immédiat après guerre. Les émissions souveraines sont placées car les taxes destinées à payer les réparations ne doivent s’apliquer qu’avec un délai d’un an. La plupart des agents économiques parient alors sur la reprise et la stabilisation monétaire. Ils acceptent d’acheter les titres d’une dette qu’ils pensent soutenable. Quelques mois plus tard, l’application des mesures fiscales coïncide avec le démarrage de l’hyperinflation. En 1924, le gouvernement Stresemann, avec l’appui de Hjalmar Schacht, gouverneur de la Reichbank, que l’on retrouvera ministre de l’économie d’Hitler, l’endigue avec sa réforme monétaire et la maîtrise de la masse monétaire, associée à la diminution des dépenses publiques et à la hausse des impôts. Le déficit budgétaire reste abyssal, le manque de capitaux est flagrant et surtout 40 % des capitaux étrangers injectés en Allemagne sont des prêts à court terme aux banques… qui prêtent à long terme à l’économie. Après le Jeudi noir, la Bourse s’effondre, la production industrielle chute de 20%. Panique bancaire, politique déflationniste et tentative de retour à l’équilibre budgétaire. Récession, chute des exportations mais aussi chômage qui, en 1933, touche un ménage sur deux.

On connaît la suite. Outre l’accroissement de l’impôt, les piliers de la politique économique nazie sont la concentration industrielle, dite cartélisation obligatoire mais menée avec l’assentiment des grands industriels, des programmes quasi keynésiens de grands travaux… mais aussi une série de mesures dont une loi de 1934 imposant un capital minimal de 500.000 marks pour créer une société anonyme, l’interdiction de sortie des capitaux étrangers, qui doivent être réinvestis localement, et le rétablissement de la balance commerciale grâce à une diminution drastique et autoritaire des importations. Les dettes de l’État sont néanmoins multipliées par 11 entre 1933 et 1943 tandis que l’émission de monnaie l’est par 10.

On comprend peut-être mieux Angela Merkel, mais aussi Helmut Kohl et François Mitterand, et on commence à douter de Francis Fukuyama.

On me dira que, dans un régime de changes flottants, tout est différent. Que l’histoire ne se répète pas, que l’homme de Démocrite ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve dollar, que les marchés s’ajsuteront. Que la Wallonnie n’est pas la Rhénanie. Que les investisseurs liquides choisiront la pierre. Que la Chine s’est éveillée et que la France résorbera son impasse budgétaire. Que l’Europe sera solidaire ou ne sera pas.

Quelqu’un disait aussi à une chanteuse que le temps est un salaud et que de nos chagrins il se fait des manteaux. Un faisceau d’indices vaut bien une équation à mille inconnues…

La vraie question est, comme toujours celle de l’après, the morning after the night before, quand les fourmis trop préteuses auront perdu plus que les cigales de ce bon Jean de La Fontaine et que l’hiver sera venu.

Modestus van Gulden

Tag(s) : #Economie, #Van Gulden
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