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Je ne veux plus de cette Europe.
Celle dont le Parlement – seule instance démocratique dans un univers incestueux de technocrates et de lobbies – imagine renforcer les pouvoirs de la Commission pour mettre les Etats sous tutelle, cette Europe qui pourrait asservir les peuples autant que les tyrans qu’elle a si longtemps subis et tant adulés.
Je ne veux plus de cette Europe qui, comme en Slovaquie il y a quelques jours, fait revoter les Parlements jusqu’à adoption de la mesure de sauvetage, expédient qui ne fait que repousser le problème, ou qui par le truchement de gouvernements nationaux ignore le sens du vote populaire, comme en France en 2004.
Je ne veux plus de cette Europe fino-hollandaise, qui ne se souvient ni d’Erasme, ni de Spinoza ni de Rembrand : moralisatrice, égoïste et spéculatrice, mais qui prend comme argent comptant les pires balivernes de banquiers too big too fall et nous édifie avec les soi-disant rassurants stess tests, passés avec brio par des banques qui n’ont point besoin de se recapitaliser mais qu’il faut comme la franco-belge Dexia, quasi nationaliser après les avoir privatisées.
Je ne veux plus de cette Europe qui oublie l’intuition commune de l’Anglais David Ricardo et de l’Allemand Karl Marx (le travail fonde la valeur) et qui érige contre vents et marées le principe de libre concurrence en valeur absolue, au dessus même de la dignité des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes.
Je ne veux plus de cette Europe des nations qui, après d’être déchirées durant dix sièces, fuient toujours devant leur destin fédéral, refusent d’affronter l’évidente fragilité d’une monnaie de marchands, par elles-mêmes démunies car sans politique budgétaire, sans fiscalité ni droit social communs, mais qui abandonnent à une Banque centrale, sans refinancement propre, le soin et la honte de racheter à crédit la dette souveraine des Etats surendettés, grâce aux dollars que lui baille la Fed.
Je ne veux plus de cette Europe-Devise fragile qui divise et humilie, moi qui rêvais d’une Europe de la justice, du travail et de la culture, une Europe enfin sage et pacifique qui réconciliait des peuples divers avec leur commune et sanglante histoire. Pas celle dont les exigences font s’affronter, sous les yeux d’une police immobile et casquée, militants communistes et bandes cagoulées sur la place Syndagma, dont le nom, comme on le sait, signifie Constitution. Une constitution comme celle en faveur de qui j’ai voté en son temps, après avoir applaudi l’Acte Unique et le Traité de Maastricht.
Brûlerons-nous bientôt le drapeau aux douze étoiles comme les révoltes d’ailleurs embrasent le Star and Stripes, nous qui avons cru en une autre Europe que celle des banquiers ?
Défendrons-nous dans la rue, outre l’avenir de nos enfants, l’Europe qui pourrait encore tendre fraternellement la main à nos voisins grecs, payant ainsi la dette humaniste que nous devons aux philosophes, aux savants et aux stratèges hellènes, et la joue gauche à ceux qui critiquaient, à juste titre, ses égarements libéraux ? Cette Union de l’Europe qui aiderait l’Italie en mémoire de Fra Angelico, de Dante et de Vivaldi. Celle qui soutiendrait l’Espagne au nom de Goya, de Bartolomeo de las Cases et des califes Maures d’Al Andalous, et appuierait le Portugal pour rendre hommage à Vasco de Gama et à Pessoa. Celle qui se souviendrait qu’il n’y aurait jamais eu d’homme sur la Lune sans Nouvelle frontière, donc sans émigrés Irlandais aux USA. Celle enfin qui comprendrait le choix impossible pour l’Allemagne entre inflation et chômage et mettrait fin à la démagogie protectionniste française ?
Jose Manuel Barroso déclarait il y a quelques jours : «je dis aux leaders de droite, de gauche et du centre : vous vous trompez, car, pour critiquer l’Europe, vous trouverez toujours plus forts que vous! Il faut avoir le courage de la défendre».
L’avenir de l’Europe ne se jouera pas au sommet européen du 23 octobre, reporté ou non, de même que l’enjeu de 2012 n’est pas la gouvernance de la France. Nicolas Sarkozy, candidat non déclaré, et François Hollande, candidat élu par ses sympathisants auront-ils l’humble audace de nous parler de cette Europe ?
Nos futurs élus sauront-ils comme l’on fait les 600.000 Islandais et les 40.000.000 d’Argentins, dire simplement non aux banquiers, au FMI, aux missi dominici et autres Commissaires du Comité de Salut de l’Euro en mission, anciens adeptes du leverage convertis à la rigueur financière ?
Ou bien faudra-t-il finalement, après avoir boudé une élection bonnet blanc – blanc bonnet, où nous nous serons massivement abstenus faute de pouvoir choisir, combattre dans le sang, la sueur et les larmes, comme en Tunisie, en Egypte, en Lybie, en Syrie, les régimes que notre aveuglement nous aura imposés ?
Modestus van Gulden
© Modestus van Gulden, octobre 2011. Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur.