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La nationalisation contre le nationalisme

Workshop #2 : la bulle sociale

Par Bartolomeu

AVIS DE TEMPETE

Un jeune sur deux au chômage, près de 25% toutes populations confondues, une explosion du nombre des faillites (+400% en cinq ans), un effondrement ou, au mieux, une baisse marquée de l’immobilier, des régions et des villes endettées, aux ressources insuffisantes pour faire face à leurs engagements, des plans de rigueur, des coupes budgétaires à hauteur de 65 milliards d’euros, dont les effets restent à venir, des banques infestées par 184 milliards de créances incertaines ou pourries, des ménages endettés, des impôts nouveaux à prélever.

Voilà l’Espagne, point central des négociations menées à Bruxelles le 20 juillet 2012 pour sauver les banques. Il faudra 100 milliards d’euros. Car pour l’instant ils ne sont pas disponibles. Il s’agît du prix à payer pour maintenir la stabilité toujours plus improbable de la zone euro.

Alors que les flammes sont déjà visibles on ne se presse pas, on ne s’empresse plus. Depuis un an, aucun pas en avant. Constats et promesses. Constats mal chiffrés, promesses non tenues.

Alors on verra en septembre, ou en octobre. D’ici là un audit ordonné permettra de prendre la mesure des risques et besoins des banques espagnoles. Comme, en 2011, pour Dexia passant avec succès les stress tests européens en juillet, pour se retrouver en faillite en septembre ?

D’ici là le Fonds de Soutien de la Zone Euro – le FESF – qui n’existe plus vraiment depuis le 10 juillet, interviendra en cas de besoin à hauteur de 30 milliards d’euros, moyens totalement insuffisants, avant que le Mécanisme de Stabilité – le MES – toujours pas réellement créé, ne prenne le relais.

Parallèlement, sera mise en place une bad bank, Asset Management Company – AMC – pour y cantonner les actifs douteux des banques espagnoles. Cette opération de défaisance est elle-même soumise à des conditions qui seront ultérieurement précisées.

Les marchés ont salué le jour même ce nouvel ajournement d’un indispensable aggiornamento. La bourse Madrilène a reculé de près de 6% et les taux d’intérêts se sont tendus à 7.196% avant d’approcher 7.500%le lendemain.

Insoutenable.

LE BLOCUS ALLEMAND

Dans ces délicates et dramatiques négociations, l’Allemagne campe sur ses positions depuis un an déjà. La Chancelière, à la tête d’une coalition - on l’oublie trop souvent – est soumise à un auto-blocage savamment organisé, s’appuyant sur l’arrêt du 30 juin 2009 de la Cour de Karlsruhe, qui donne le la constitutionnel allemand, au terme duquel « l'Etat ne pourra plus abandonner de souveraineté sans changer de Constitution ». Le Tribunal constitutionnel fédéral délivre son verdict et ses autorisations, de faire ou de ne pas faire, au coup par coup. Ainsi le Bundestag et le Bundesrat doivent-ils se prononcer pour chaque aide et pour chaque pays. S’agissant de donner une suite au sommet de ce 20 juillet, la Cour de Karlsruhe se prononcera le 12 septembre. Elle examinera successivement les accords portant sur le Mécanisme de Stabilité – le MES- et le Pacte budgétaire qu’elle presse ses partenaires d’adopter dans l’urgence, la France en particulier. D’ici là les pompiers sont en vacances.

Que seront à la fin de l’été la Grèce, le Portugal, l’Irlande, l’Espagne, l’Italie et Chypre ? Personne ne le sait vraiment.

L’ILLUSION CHINOISE

Tout le monde, les Etats-Unis, le Canada, le Japon et l’Europe d’abord, compte sur une hypothétique reprise de l’économie chinoise où la crise de spéculation affecte non seulement l’immobilier mais aussi l’industrie. Les statistiques du Comité Central sont mises en cause et certains évoquent pour l’année en cours un taux de croissance plus proche de 5.6 points que des 7.8 généralement estimés. Bulle immobilière, surcapacités industrielles, en Chine aussi l’appareil bancaire pourrait se révéler dangereusement atteint par des encours plus ou moins pourris. La croissance mondiale ne serait alors plus ce que l’on espérait. Alors partout on injecte des liquidités. On remplit désespérément le réservoir d’un véhicule dont le moteur a calé. Les banques s’alimentent et se nourrissent du trop-plein.

LE PRECEDENT JAPONAIS

Depuis l’affaissement brutal de Lehmann Brothers, les Etats-Unis, la Chine et, dans une moindre mesure jusqu’à présent, l’Europe ont injecté massivement des liquidités. D’abord pour assurer la fluidité d’un système bancaire à plusieurs reprises grippé, ensuite pour favoriser la reprise économique. On se souvient du plan Paulson, 570 milliards de dollars dans un premier temps, porté rapidement à 750 milliards puis à 1.000 milliards. C’était à l’automne 2008. Près de quatre années plus tard la croissance n’est toujours pas au rendez-vous. L’endettement déborde de toute part, le chômage approche en Europe par endroit le seuil, qui une fois franchi la ferait basculer dans une grande dépression.

Cette politique d’argent facile se poursuit alors même qu’elle n’a aucun effet réel sur l’activité économique. L’abaissement continu des taux d’intérêts n’a pour effet que de diminuer la rémunération du risque et donc d’assécher peu à peu le crédit aux entreprises. Donc d’aller en sens contraire du but recherché. D’encourager les banques à se tourner encore plus vers les activités d’investissements spéculatifs, de jouer, le mot n’est pas trop fort, avec le feu. Ainsi JP Morgan Chase, la première banque américaine, vient de perdre près de 8 milliards de dollars en spéculant sur les CDS. Partis en fumée.

L’exemple japonais devrait pourtant être pris en considération. Paul Fabra en 2003 raconte : « le coût de l’argent est tombé à rien. Les banques commerciales s’approvisionnent en liquidités pratiquement à guichet ouvert auprès de la banque centrale ». Il faut alors enrayer les conséquences des bulles immobilières et mobilières qui mettent en danger les banques de l’archipel.

Que font les banques des liquidités injectées par la Nihon Ginkō ? Des prêts et concours à l’industrie, aux PME ? Pas du tout. Elles achètent des titres de la dette publique. En mai 2003, une émission d’obligations à 2 ans, lancée au taux de 0.039% est souscrite 115 fois. Et Paul Fabra de poursuivre « Ce placement rapporte 40 fois plus que ce qu’il vous coûte – rapport entre 0.039% et les 0.001% [ le taux auquel prête la banque centrale aux banques]. Quelle activité de production vous promet un tel profit ? ».

Ce cri d’alarme venait après que, le 21 novembre 2002 Ben Bernanke, le patron de la FED, inquiet d’une possible baisse continue de l’immobilier américain, eut déclaré que, « pour faire remonter le prix des maisons, s’ils se mettent à plonger, on inonderai le marché de liquidités ». Dix ans plus tard, les prix se sont effondrés. Les banques regorgent d’hypothèques. Et spéculent à tout va.

Le créditisme contre le capital s’impose. Au Japon d’abord. Le monde suivra.

L’ILLUSION DE LA MONNAIE UNIQUE

Le projet d’une monnaie unique ou commune est plus ancien que beaucoup d’européens n’en ont conscience. Le premier projet est contenu dans le rapport Werner en 1970. Avant même la décision prise par Richard Nixon, le 15 août 1971, de la fin de la convertibilité en or du dollar. On notera que la toute première monnaie européenne fût, en quelque sorte, l’unité de compte utilisée plus particulièrement pour les règlements agricoles.

C’est dans cet esprit, si ce n’est dans cette perspective, que la Communauté Européenne décida en mars 1973 de se doter d’un Fonds monétaire européen, dont les principes de constitution et de fonctionnement empruntaient largement à ceux du FMI.

Les premières discussions sur la question d’une monnaie unique ou commune mirent en évidence une ligne de fracture. Fallait-il, comme la France le souhaitait, déterminer dès l’origine des parités fixes ou, au contraire, tenir compte des différences des situations économiques de chaque Etat comme le soulignait, par exemple, dès le 16 juillet 1969, le Gouverneur de la Banque d'Italie, Guido Carli qui présente alors un rapport dans lequel il analyse les problèmes que posent l'adhésion du Royaume-Uni au marché commun en ce qui concerne les questions monétaires (Archives historiques des Communautés européennes, Florence, Villa Il Poggiolo. Dépôts, DEP. Edoardo Martino, EM. EM 168).

A cette époque la CEE est constituée des six pays fondateurs. Ce n’est qu’en 1973 que le Royaume-Uni, la Danemark et l’Irlande y seront admis, augmentant les disparités des situations régionales. André et Tony Grjebine dans La réforme du système monétaire international, paru aux PUF en 1973, abordent brillamment la question des taux de change. Ils mettent en garde sur un choix idéologique maximaliste qui conduirait à adopter, le moment venu des parités immuables : « Si, dès maintenant, on cherche à mener des politiques économiques similaires dans les neufs pays de la Communauté, on risquera de développer encore plus les pôles de croissance actuels : Ruhr, région parisienne, Londres, Italie du Nord, qui seront entourés par des zones sous-développées et en voie de dépeuplement : Bretagne, Auvergne, Italie du Sud, Ecosse, Irlande, etc. ». Et de poursuivre « Soit on rapproche dès maintenant les politiques économiques et on fige les différences qui caractérisent aujourd’hui les régions européennes, risquant par la même l’éclatement de la Communauté, soit on se propose de rapprocher les évolutions économiques des différentes régions européennes, mais il ne faut plus prétendre rapprocher les politiques économiques ». Et de conclure : « Il est clair qu’on ne peut pas utiliser la même politique pour maintenir la croissance de la Ruhr et pour sortir l’Irlande du sous-développement ». Il est évident que les composantes structurelles des Etats, alors et aujourd’hui, présentent de substantielles différences : taux d’industrialisation, taux d’activité, taux de chômage, mécanisation de l’agriculture, infrastructures en tous genres marquent des différences qui affectent en retour les politiques régionales et les politiques budgétaires des Etats.

Il est pertinent de dire, comme le firent ces deux auteurs il y a trente-huit ans, « qu’en interdisant des adaptations progressives des taux de change, le système des changes fixes conduit à des crises spéculatives » puis à des situations inextricables, des franchissements de seuil sans retour. Les taux d’intérêts sont les premiers de ce seuil.

Chaque nation membre de l’euro-zone possède en réalité sa propre monnaie, son propre euro couplé à son propre taux d’intérêt. L’illusion de la monnaie unique a permis à des Etats, qui n’en avaient structurellement pas les moyens, d’emprunter à bas coûts pendant de nombreuses années. De s’endetter sans contraintes et quasiment sans limites. Le réveil est brutal. Qui peut raisonnablement penser qu’un pays qui hier n’avait pas les moyens d’emprunter puisse aujourd’hui rembourser ses dettes?

UN REGLEMENT DE COMPTES IMPOSSIBLES

La sortie d’un seul des acteurs de ce drame monétaire aura des conséquences incalculables. Cette perspective a permis jusqu’à présent de souder les européens. Depuis le 21 juillet 2011, la peur rythme la politique commune. Dans un brouillard de plus en plus inquiétant. Quel est le montant réel de la dette grecque ? Celui des dettes espagnoles, italiennes ? La croissance folle des chiffres donne la certitude que l’accident va se produire La seule certitude est que les chiffres s’accroissent avec le temps et que l’accident se produira. Tôt ou tard

Pour la première fois depuis sa création, l’euro peut disparaître. Plus aucun mécanisme de secours ne fonctionne si l’on considère les masses en présence. Celles des dettes publiques, celles des fonds d’intervention disponibles. Ira-t-on alors vers une réaction en chaîne aux effets encore incalculables ? Personne ne peut répondre. La situation n’offre pas de précédents qui pourraient être utiles.

Le temps qui passe est hostile. Focalisée sur le sauvetage du système bancaire l’Europe piétine. On finit par oublier les urgences. La jeunesse au chômage, l’exode naissant des plus riches alors que, parallèlement la population vieillit. Evitera-t-on un véritable basculement de la donne économique et sociale ? A-t-on la moindre appréciation sérieuse du coût réel des retraites à verser au cours du demi-siècle à venir ? Sait-on ce que coûtera la prise en charge de la dépendance ? Au plan européen, les politiques sont non seulement désordonnées mais aussi contraires. Ici on allonge la durée du travail, là on la voudrait encore la réduire. Ici on pratique la rigueur, là le déficit budgétaire permanent. Le couple franco-allemand, moteur et raison de l’Europe diverge dangereusement.

Comment se comporteront les peuples de la vieille Europe ? Le continent retournera-t-il vers ses vieux démons ? L’Allemagne victime économique victorieuse hier sera-t-elle le bourreau de demain ? Sans euro il-y-at-il une Europe vertueuse ?

Jamais toutes les conditions n’ont été aussi bien réunies pour que le système explose. Il ne manque plus que la mèche. La rue ? Le retrait imprévu d’un état membre ? La faillite d’une banque, européenne, américaine, chinoise ? Le plus difficile n’a jamais vraiment été de prévoir ce qui va arriver, mais de dire quand l’accident se produira.

Pour la première fois depuis 1962 et la création des Bons Roosa, la crise de 1968 et la démonétisation partielle de l’or, signes avant-coureurs de l’inadaptation durable des accords de Bretton-Woods aux besoins du financement des interventions extérieures américaines, le monde est au bord du gouffre.

En Europe, le cadre autrefois communautaire, en devenant unique à la hâte, ne résiste pas aux conséquences de ces politiques.

Dispose-t-on encore des délais nécessaires pour mutualiser la dette comme le souhaite la France et les Etats du Sud en respectant les exigences des Etats du Nord. La sécession est-elle inévitable ?

S’installera-t-on autour de la table, maintenant, avant qu’il ne soit trop tard ? C’est peu probable. Le blocage savamment organisé par la Chancelière allemande ne laisse que peu de place à l’optimisme. Le refus des peuples confrontés à la rigueur ne porte pas à l’espoir d’un règlement négocié.

L’ULTIME VOIE

L’euro se meurt, si ce n’est l’Europe.

Sauf à nationaliser les banques. Les débarrasser de leurs activités de gestion spéculative dont les résultats pour les clients, il faut le souligner avec force, sont pour le moins de peu d’intérêt, l’essentiel ou plus des gains de rendement, résultats de conséquents investissements en hommes et en moyens informatiques, sont prélevés par les traders et autres managers solidement installés. Les remettre au cœur de leur métier, au service de l’économie.

Et, en même temps, mutualiser la dette européenne, la faire absorber par un établissement public européen, sous tutelle de la BCE, qui aura à émettre en contrepartie des obligations garanties par les Etats, à un taux d’intérêt économiquement intelligent et à les placer dans les caisses et fonds de retraite, ce qui réduira considérablement l’exposition au risque, des marchés financiers internationaux incontrôlés, de l’épargne nécessaire à la consommation et à l’investissement.

Il y a urgence à agir, à ne plus chercher à gagner du temps, à éviter le pire. D’autant que négociée au plan européen ou pas, la nationalisation des banques s’imposera inévitablement.

La nationalisation pour éviter la montée, perceptible partout en Europe, des nationalismes.

© Bartolomeu pour ITeM info, juillet 2012.

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Tag(s) : #Economie, #Bartolomeu
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