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Workshop #1 - Urbanothérapie
Un entretien entre Yves Schwarzbach, directeur-associé d'ITeM urban intelligence et Hélène Herzog-Stasi, Etat d'Esprit.
Hélène Herzog-Stasi : Dans vos interventions ou vos articles, vous défendez l’idée de multifonctionnalité, de partage, de mixité… Bref, une ville plus civilisée et créatrice de liens. Est-ce un concept auquel les élus sont sensibles, dans une période où la baisse de la participation électorale mais aussi l’émergence du bottom-up peuvent appraître comme des mouvements contridictoires ?
Yves Schwarzbach : Oui, évidemment. On voit par exemple se multiplier les appels à projets intégrant une « co-conception » avec les habitants. La mixité urbaine (fonctionnelle et sociale) reste un enjeu majeur. Une ville « en bonne santé » pour reprendre l’expression de McKinsey, c’est une ville où chacun se sent bien partout, où l’accès aux services est possible partout, ce qui renvoie d’ailleurs à deux réalités, ou menaces, la sûreté/sécurité et le communautarisme. L’enjeu, c’est d’apprendre à gérer la diversité, tout en réaffirmant l’unité, la cohésion. D’où, en effet, une vraie question de légitimité des élus mais aussi des techniciens de la fabrique urbaine.
Hélène Herzog-Stasi : La « ville de demain » semble vouloir privilégier l’humain et les échanges alors que la « ville d’hier » semble avoir été avant tout conçue pour l’automobile… Est-ce une vision que vous partagez ? La voiture – et aujourd’hui son relatif recul – est-elle à ce point déterminante dans les évolutions observées ?
Yves Schwarzbach : Je crois que c’est au faux débat et, pardonnez-moi, une vision étriquée, malthusienne de l’homme et de la ville. Chacun, dans les grandes métropoles, est alternativement automobiliste, piéton, cycliste, usager des transports publics ou collectifs. Au fond, l’avion ou le train ou le tramway sont des moyens de transport collectifs à usage individuel. Le Vélo Libre Service (VLS) aussi d’où probablement son succès. L’autopartage et plus encore le co-voiturage sont des réalités en développement. Mais le moteur à hydrogène est la prochaine étape (horizon 2015 pour les préséries) pour les consructeurs, après l’hybride l’électrique ou la symbiose maison/voiture expérimentée par exemple en Allemagne. Il faut, à rebours de ce qui se fait actuellement en France, reconsidérer l’approche. Alors que 60% des bus RATP, par exemple, ne sont pas conformes aux normes de rejets, le partage de la voirie, ce n’est pas créer des couloirs, des barrières, des ghettos, c’est (ré)apprendre le comportement collectif, le respect de l’autre. Voir les trams à Bruxelles ou les vélos à Berlin. Le parallèle est frappant avec le tri sélectif ou la basse consommation énergétique : la base est comportementale, et donc l’investissement n’est économiquement valorisé – et socialement rentable – que si les acteurs – et pas seulement les pouvoirs publics – s’engagent. Ce qui suppose la convergence de l’intérêt personnel et de l’intérêt collectif.
Hélène Herzog-Stasi : La ville faisant à nouveau une place à la nature (jardins potagers, parcs …) est-elle une vraie tendance ou un doux rêve ? On se souvient qu’Alphonse Allais disait qu’ « on devrait construire les villes à la campagne », n’est-on pas en train de le paraphraser ?
Yves Schwarzbach : Oui, et c’est heureux. Le « reverdissement » urbain n’est pas seulement un enjeu climatique ou environnemental mais aussi économique et social. N’oublions pas que la ville est depuis toujours un système qui articule un centre et des banlieues, des territoires plus ou moins spécialisés au service du centre. Mais on retrouve dans l’histoire urbaine, aux USA avec Central Park, ici avec les Cités Jardin, avec le rapport subtil – et symbolique - qu’entretiennent les villes allemandes avec la forêt, une filiation évidente. Il y a deux activités, historiquement liées à la ville, que la ville du XXe siècle a fait disparaître : le maraîchage (qu’on appelle aujourd’hui « agriculture urbaine » ou les « jardins partagés ») et la production artisanale. Rappelons-nous l’hisoite de la Plaine Saint Denis. Redévleopper l’agriculture urbaine, tout comme l’artisanat, ce n’est pas du gadget mais une simple lucidité économique. Au USA, 80% de la valeur ajoutée est produite par des PME régionales, opérant sur des marchés locaux. En France, où la part des services dans le PIB est assez similaire (75% contre 80%), la concentration économique est paradoxalement plus forte. Clairement, en termes d’emplois ou de revenus d’appoint, c’est un enjeu majeur. C’est aussi un « plus » en termes de diversité du paysage urbain, d’écologie globale. La complexité du sujet vient moins de l’étalement urbain que de la spécialisation des territoires. Peut-être allons-nous assister à une déspécialisation, une sorte « d’homéopathisation » des fonctions au sein de la ville.
Hélène Herzog-Stasi : Autre sujet, qui rejoint celui de la ville 2.0. J’entendais récemment l’architecte-urbaniste Roland Castro dire que, plus le virtuel se développe, plus on passe de temps chez soi : partagez-vous ce constat et quelles conséquences y voyez-vous ?
Yves Schwarzbach : Je ne suis pas tout à fait d’accord avec l’idée selon laquelle «on passe plus de temps chez soi». Prenons les ados. Ils vont, ils viennent, ils sont tour à tour dehors et dedans, chez les uns et chez les autres, seuls et avec les autres, dans une alternance ultra rapide. Regardons leurs pages Facebook. Ce qui surprend, c’est la simultanéité des affichages et des usages. On téléphone, on est sur Facebook, on est avec les amis, en même temps. La réflexion sur la désynchronisation des rythmes urbains – souvenons-nous du rapport Hervé de 2001 – n’avait pas encore pris toute la mesure du Web 2.0. Je coris que l’intime se déplace : ce n’est plus un lieu physique exclusif, c’est l’endroit où on le pose, où on se pose. Le « chez moi – chez l’autre » de Ginette Baty-Tornikian, « l’espace public-privé » de Carmen Santana. Idem avec la vie professionnelle. Nous transportons notre bureau (et nos soucis professionnels) avec notre smartphone, à la maison, dans la voiture ou le train, comme nous « importons » notre vie privée dans l’entreprise. J’irais jusqu’à suggérer que le « virtuel », qui est une forme de relationnel, prend la place autrefois occupée par le spirituel. Même s’il y a des « geeks », comme il y avait des ermites.
Hélène Herzog-Stasi : Parmi les tendances que l’on observe actuellement, il y a un certain retour en faveur de la « non propriété » : la location, l’usage partage, les systèmes d’échanges locaux, etc. Quel avenir pour les nouveaux concepts de propriété partagée de type auto-partage ? Cela préfigure-t-il de nouveaux modèles économiques ? Quels effets en matière d’urbanisme ?
Yves Schwarzbach : Notre vision de la propriété, qui renvoie à celle de lignée, d’héritage et de famille, remonte à l’empire romain, donc à un système centralisé, à tendance totalitaire. Ce qui compte aujourd’hui, c’est l’usage. Peu importe de posséder ou non, ce qui compte, c’est d’utiliser en fonction de ses besoins et de ses moyens. Nous allons peut-être redécouvrir la valeur d’usage, et c’est peut-être la vraie valeur qui fondera les échanges économiques, la fiscalité, etc. sinon le nouveau modèle économique « glocal » qui caractérisera peut-être la première moitié du XXIe siècle. C’est par exemple vrai en matière de logement. Nous avons lancé un workshop sur le logement, qui intéresse beaucoup la FPI et l’ASPIM, et l’un des axes de travail, c’est le rééquilibrage du marché du logement en faveur du locatif – et pas seulement social. Je crois que l’ancrage au sol (qui est une spécificité du droit latin versus par exemple le droit foncier anglais) et cette conception traditionnelle du « chez soi » est en train d’évoluer. Le « chez moi – chez l’autre » dont parle par exemple Ginette Baty-Tornikian, ou l’espace public-privé cher à Carmen Santana-Serra.
Hélène Herzog-Stasi : A une ville dominée par la technologie froide, on semble aujourd’hui préférer une ville plus conviviale où il fait bon vivre ensemble. N’est-ce pas contradictoire quand il s’agit simultanément de résoudre des problèmes techniques complexes d’économie d’eau, d’économie des ressources, de gestion des déchets… ?
Yves Schwarzbach : D’abord, le Web, c’est ce qu’on y met et ce quo’n en fait. Big Brother est fait de nos twits… Il me semble donc que la « froideur » de la technologie est une apparence. Le smarphone ou la tablette sont des exemples de chaleur, d’affectivité très forte, de symbiose avec la technologie. L’interactivité permet à la fois les apéro Facebook et l’indicziton en temps réel, par les voyageurs, des incidents dans les transports publics. Il me semble plus important, pour les opérateurs qui déploient les technologies urbaines, de réduire la distance entre l’homme et la technique. Ce n’est pas simplement de la communication ou de la pédagogie. C’est d’abord du marketing, donc revenir au couple marché-produit, dans un univers professionnel où le B2B et les prescripteurs sont dominants. La question n’est plus de dire « nous réglons vos problèmes pour vous, on a décidé pour vous, il vous suffit de vous abonner et de payer ». Il faut, par exemple, de réintégrer les besoins exprimés par le client final dans nos offres. Nous revenons peut-être à une économie de la demande, et cela passe par un renouvellement du marketing des services urbains. Revenir au besoin de l’utilisateur final, en passant, notamment, par des démarches de consumer insight. Pour les offreurs, l’intégration de la complexité, grâce aux technologies, est un défi que le client n’a pas à prendre en compte, sauf au plan comportemental.
Hélène Herzog-Stasi : Finalement, la ville que vous décrivez dessine-t-elle plutôt les contours d’une ville de 20.000 habitants ou ceux d’une agglomération voire d’une métropole ?
Yves Schwarzbach : Les deux à la fois. La croissance des villes moyennes a été plus forte que celle des grandes villes sur les 20 dernières années, mais ce sont les villes moyennes associées à une métropole qui ont le plus évolué. Ce qui est important, ce sont moins les contours ou les périmètres, que les continuités ou discontinuités, les variations d’échelles et la question des franges. Les échelles, c’est celle de l’homme (le domicile, l’immeuble, le quartier), celle de la ville (l’ubain, les fonctions urbaines, la Cité) et la métropole, qui est hétérogène, discontinue, fluctuante. On voit bien que les périmètres juridiques (les contrats, les zones de compétences exclusives) créent des frontières plus fortes que les limites territoriales (transfrontalières, agglomération/métropole). Si on a pu développer Vélib en 1ère couronne, c’est parce que le contrat le permettait. Quand j’étudiais le déploiement du tri sélectif sur les gares TER, le principal obstacle était la renégociation des contrats et leur non concordance avec les DSP des communes. C’est sur l’évolutivité des contrats qu’il faut travailler. Je crois que la règle de décision est simple : sont intégrés ceux qui en manifestent la volonté et en sont exclus ceux qui le refusent, à l’intérieur ou à l’extérieur d’un périmètre. Après tout, on sait gérer des RIE ou des parkings foisonnés sur ce mode. Pourquoi pas des logements ou des collectes d’ordures ménagères ?
© ITeM info, novembre 2012