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Illustration ITeM info. DR.
Illustration ITeM info. DR.

Le lien entre la fiscalité, l’aménagement, le foncier et le logement est à la fois incontournable et inconfortable. Incontour-nable car il n’existe guère de pays où les patrimoines fonciers et immobiliers ne constituent pas un gisement fiscal, en particulier pour les collectivités locales. Inconfortable dans la mesure où les dispo-sitifs fiscaux sont souvent, et surtout en France, multiples, disparates, multi-objectifs, instables et mal évalués. Ce sont des problématiques distinctes, dans les objectifs comme dans la rationalité et les méthodes de mise en œuvre. Dans chacun de ces trois domaines, le système actuel est complexe, mouvant, peu efficace et souvent inéquitable.

Dans les faits, ces trois problématiques sont fréquemment rapprochées, de façon assez naturelle puisqu’elles touchent le même objet, l’aménagement et la construction. Mais ce rapprochement peut aussi entretenir des confusions. Cette note a pour objet de clarifier des concepts, d’indiquer certaines évolutions récentes en la matière, et tracer quelques perspectives de moyen terme.

Rappelons d’abord une vérité première : les objectifs d’une mesure fiscale peuvent être de trois ordres, le premier est bien sûr de fournir des recettes à une collectivité publique, éventuellement plusieurs, le second est d’équité, de redistribution par l’impôt ou de récupération de plus values indues, le troisième est d’ordre incitatif, pour favoriser tel ou tel type d’utilisation des biens, par exemple la mobilisation des terrains à bâtir.

Un outil particulier ne peut guère poursuivre les trois objectifs simultanément, et ces objectifs différents peuvent être sources de confusion et de perte de cohérence des politiques publiques. La profusion actuelle de dispositifs nouveaux n’est pas exempte de cette critique.

Le premier point concerne la fiscalité de l’aménagement. L’objectif parait simple et clair : faire financer par les constructeurs, donc en dernière instance par l’acquéreur, les équipements d’infrastructure et/ou de superstructure nécessaires au dévelop-pement des opérations d’urbanisme.

Depuis 1967 – toute participation de cette nature était interdite auparavant, ce qui n’excluait pas des arrangements locaux, qualifiés en leur temps « d’urbanisme à l’escopette » – la participation des promo-teurs aux dépenses d’équipement s’est développé de multiples façons, de plus en plus variées et complexes, générant un contentieux croissant. Ce type de dispositif, perçu à l’occasion de la délivrance du permis de construire ou d’aménager, est d’appli-cation quasi universelle. Il ne saurait être mis en question dans le principe, puisque cette taxation a vocation à être répercutée sur l’acquéreur, bénéficiaire de ces équipements. Mais ses outils diffèrent par leur montant, leur mode de calcul et, plus fondamen-talement, par les principes auxquels ils obéissent.

Dans le cas français, ce furent d’abord la taxe locale d’équipement (TLE), supposée devoir être remplacée par une « taxe d’urbanisation » qui n’a jamais vu le jour, puis les participations négociées dans les zones d’aménagement concerté, aujourd’hui juridi-quement fragiles, les programmes d’aména-gement d’ensemble (PAE) de la loi de 1985, les récents - et mal documentés - projets d’urbanisme partenarial (PUP), auxquelles on doit ajouter d’autres participations à objet ou à champ spécifiques. Bref une véritable jungle, d’application locale très différenciée, source d’un contentieux non négligeable, mais produisant globalement des recettes sans rapport avec le maigre produit de la TLE initiale.

A cet égard, la récente loi modificative sur le projet de loi de finances pour 2011 coordonne, dans un nouveau chapitre (le chapitre 2 du titre 3 du livre 3 (sic) du Code de l’urbanisme), l’ensemble des dispositifs existants et introduit une nouvelle taxe, dite « taxe d’aménagement », qui à la fois se substitue à la TLE en l’élargissant et intègre un certain nombre de taxes mineures : financement des CAUE[i], espaces naturels sensibles, etc. Elle est payée par le bénéficiaire de l’autorisation de construire. Le mode de calcul et de décision est de même nature que pour la TLE, c'est-à-dire qu’elle ne se réfère pas au coût réel des équipements mais qu’elle est assise sur une valeur forfaitaire de l’immeuble à construire, votée par le Parlement.

Ce n’est donc pas une révolution. Cette réforme met un peu d’ordre dans l’hyper complexité du dispositif mais reste un ajustement à la marge, qui maintient une économie administrée qui fait abstraction des situations réelles. On applique un taux uniforme à des valeurs forfaitaires... Autant dire que la part de négociation, souvent aux franges du droit, a encore un bel avenir.

En matière de taxation annuelle des patrimoines fonciers et immobiliers, la situation est différente et soulève d’autres problèmes. D’abord, la fiscalité annuelle sur les patrimoines fonciers et immobiliers (les taxes foncières bâtie et non bâtie) présente une caractéristique majeure, le grand archaïsme des évaluations, remontant à 1961 pour le foncier, à 1971 pour le bâti, générant des iniquités considérables dans leur application. Elles s’ajoutent à celles qui résultent du mode de calcul. Cette question est cruciale dans le débat sur les finances locales.

Au début des années 1990, une loi avait prévu la réévaluation des valeurs des 135 millions d’immeubles que compte notre pays pour mettre à jour et moderniser les méthodes d’évaluation. Cette réévaluation a été effectuée, pour un coût élevé, mais son application aurait donné lieu à des transferts de charge tellement considérables que plusieurs gouvernements, après affinage de la méthode, ont décidé de ne pas l’appliquer, avant de l’abandonner définitivement au début de ce siècle.

Le boom immobilier qui s’est développé depuis une douzaine d’années a conduit à reposer le problème de cette forme d’enrichissement sans cause que constitue l’envolée des valeurs immobilières. Sur ce point, faute d’envisager une taxation annuelle sérieuse, c’est une fois de plus vers la taxation des plus values que l’on s’est tourné.

Une série de modifications ponctuelles ont été introduites, vont l’être ou ont failli l’être au cours des dernières années, en particulier par la récente loi de finances rectificative. Il s’agit pour l’essentiel de taxation des plus values perçues au moment de la transaction, dans une optique générale de récupération des plus-values foncières et immobilières, mais dans un contexte d’explosion générale des prix fonciers et immobiliers et, dans le cas du Grand Paris, de recherche d’un moyen de financer (très) partiellement le projet de transport, synthèse à venir des deux projets « double boucle – Arc express ». Ce dernier, pour des raisons pratiques évidentes, a été abandonné.

Les autres dispositifs fiscaux introduits récemment, dont nous ne pouvons détailler ici les raffinements, ont en commun d’être optionnels pour les communes, donc politiquement délicates à mettre en œuvre. De plus, le calcul de leur montant est toujours complexe. On peut conjecturer que leur produit sera faible.

On peut néanmoins citer à l’appui la « taxe de valorisation foncière » (article 1531 du CGI issu de la loi ENE du 12 Juillet 2010[ii]), produit de la valorisation de terrains ou d’immeubles due à la réalisation d’infra-structures, pour financer la construction des dites infrastructures, ou la « taxe sur la cession à titre onéreux de terrains nus rendus constructibles » (article 1605 nonies du CGI[iii], issu de la loi du 27 Juillet 2010 de modernisation de l’agriculture). Leur mise en œuvre interviendra(it) dans un contexte où on parlera vraisemblablement davantage de moins values que de plus-values, en tout cas sur la plus grande partie du territoire.

Les unes et les autres procèdent de préoccupations distinctes, voire divergentes, et leur impact n’a pas été évalué… Elles pourraient rejoindre, comme la taxe sur les plus values du grand Paris, la nécropole surpeuplée des textes fiscaux mort nés en matière de fiscalité foncière et immobilière.

On peut enfin faire remarquer que la taxation des plus-values, mécanisme toujours complexe, n’a souvent que l’apparence de la justice foncière. Dans un marché tendu, le montant de la taxe sera généralement répercuté sur le vendeur. Elle contribuera donc in fine à la hausse des prix des terrains et des logements. A l’inverse, sur des marchés détendus, de tels dispositifs accroissent le réflexe d’attentisme, dans l’espérance d’un changement des règles, qui ne manquera pas d’intervenir dans ce champ particulièrement instable où la stabilité de la règle du jeu est pourtant la condition principale de son bon fonctionnement.

La taxation annuelle des patrimoines fonciers et immobiliers constitue sans conteste la voie la plus prometteuse, tant sur le plan de l’efficacité fiscale que sur celui de l’équité redistributive et de l’incitation économique et urbanistique. Elle passe par un prérequis qui est la réévaluation des bases et le principe de la taxation à la valeur vénale. Ce serait une révolution au ministère des finances, de renoncer à la « valeur locative cadastrale » et de s’inté-resser au prix de marché[iv]. On peut remarquer ici que l’impôt sur la fortune en constituait un premier pas, mais qui parait compromis.

Dans le cas des terrains, la « taxe foncière sur les propriétés non bâties », pose un autre type de problème. Sa technique est un legs de la France agricole, qui ne prend pas en compte l’impact des règles sur le prix des biens. Cette forme de fiscalité s’avère ainsi contre-productive, puisqu’un terrain à bâtir bien placé, classé comme « friche » par le fisc, est moins imposé que la terre agricole. La loi d’engagement national pour le logement (ENL) donne certes aux maires la possibilité de mettre un petit impôt supplémentaire sur le terrain à bâtir… mais sans obligation de repenser l’ensemble de l’articulation zonage - fiscalité foncière. Et bien sûr les maires se gardent en général de recourir à cet outil impopulaire et peu productif. Le pouvoir foncier du maire n’est pas toujours un bon guide !

Ce point mériterait un long dévelop-pement. On peut au moins noter ici que le meilleur « récupérateur de plus value » consiste probablement dans la taxation annuelle des biens à la valeur vénale[v], comme par exemple la « property tax » aux Etats-Unis. C’est une piste importante. Elle est bloquée, depuis longtemps, par notre système archaïque d’évaluation des biens à la « valeur locative cadastrale » et les méthodes de travail de notre ministère des finances, depuis si longtemps que son évocation conduit en général à des commentaires désabusés.

D’une façon générale, il conviendrait de mettre en place, au niveau national, une fiscalité foncière incitative, et ce dans un contexte de transparence des marchés, après avoir réévalué les bases.

Une solution paraît s’imposer. Elle est recommandée depuis longtemps, et consis-terait à taxer les terrains constructibles à leur valeur vénale. Avec un taux compris entre 0,5% et 1%, on ne pourrait guère parler de spoliation, et cela pourrait modifier le comportement des propriétaires fonciers, publics ou privés. Cela passe bien sûr par une réévaluation des bases de l’impôt, occasion de refonder la fiscalité locale, vaste programme, nécessaire et urgent.

C’est dans ce cadre que l’on pourra repenser les incitations pour les « maires bâtisseurs ». On peut se reporter sur ce point aux propositions du rapport sénatorial Braye-Repentin de 2005[vi].

Il faut d’autre part éviter les dispositifs fiscaux trop complexes, évolutifs avec le temps, droits de construire biodégradables, impôt foncier croissant avec le temps etc. Un dispositif fiscal doit être simple, stable, compréhensible par le contribuable.

De telles mesures fiscales sophistiquées, imaginables dans des pays à forte maitrise foncière publique, avec une planification urbaine forte et stable, peut devenir contreproductif dans un pays avec prédominance et poids politique forts de la propriété foncière privée et instabilité des règles d’urbanisme lorsqu’elles sont entre les mains des élus locaux au niveau communal[vii].

Une dernière « innovation » fiscale récente mérite enfin notre attention, il s’agit de l’introduction d’un « versement pour sous-densité », l’idée étant explicitement d’inciter à la densification, comme on avait d’ailleurs autrefois incité à diminuer la densité, avec d’ailleurs un succès modeste, en instaurant le Plafond Légal de Densité (PLD). L’exposé des motifs de la loi indique que l’objet est « de permettre une utilisation plus économe de l’espace et de lutter contre l’étalement urbain ». Optionnel pour les communes, le constructeur devra s’acquitter d’un versement calculé à partir de la valeur du terrain, calculé en fonction de l’écart entre un seuil de densité minimal et la densité effective.

Passons sur les règles techniques passablement complexes. Sur le fond, on peut exprimer les mêmes réserves que pour le PLD : le risque est grand que ces mesures, peu productives fiscalement, soient des outils de négociation pour les collectivités locales. Pourquoi ne pas fixer un seuil élevé, sachant qu’il ne sera pas atteint, de façon à se procurer des ressources ?

On ne doit d’ailleurs pas oublier que la densification n’est souhaitée ni par les constructeurs ni par les acquéreurs de logements, ni par les élus… Cela fait beaucoup de monde.

En novembre 2010, un rapport conjoint de l’association des maires de France, de l’Assemblée des départements de France et de l’Association des Régions de France dénonçait « un système fiscal local à bout de souffle, des bases archaïques, etc., etc. »[viii]. En réponse, le président de la République a affirmé qu’il était prêt à s’engager dans un « Grenelle de la fiscalité locale », après avoir dénoncé un « maquis de notre fiscalité auquel on ne comprend plus rien ».

Il parait en effet central dans une future réforme de refonder l’ensemble du système fiscal local, en l’asseyant sur des bases actualisées, en le clarifiant, en explicitant les objectifs poursuivis et en appliquant le slogan anglo-saxon « KISS » (« keep it simple stable ») et nous sommes tentés d’ajouter compréhensible par le contribuable. En particulier l’articulation claire entre le système fiscal local et les objectifs des politiques d’urbanisme et de logement doit être au cœur de la problématique. Vaste entreprise qui exige une étroite coopération entre des admi-nistrations et des collectivités locales qui peuvent avoir des objectifs divergents.


Notes

[i] NDLR : Conseils en Aménagement, Urbanisme et Environnement.

[ii] NDLR : Loi Engagement National pour l’Environnement, plus connue sous l’appellation de « Grenelle II ».

[iii] NDLR : Code Général des Impôts.

[iv] NDLR. La valeur vénale est le montant qui pourrait être obtenu de la cession d'un actif lors d'une transaction conclue à des conditions normales de marché, nette des coûts de sortie et à la date de réalisation. Etablir un lien entre valeur de marché et assiette de l’impôt est évidemment le meilleur moyen de réinternaliser la plus-value. En revanche, l’expérience de la crise des subprimes illustre le risque inhérent à l’usage généralisé de la fair value, au sens des normes IFRS.

[v] NDLR : Cette question est essentielle. Le parallèle est en effet frappant entre l’aspiration à la libre administration des collectivités locales, désormais inscrite dan la Constitution de la République, la maîtrise de l’urbanisme et la (relative) autonomie fiscale.

[vi] NDLR : Sénat, Foncier, logement : sortir de la crise. Rapport d'information de MM. Thierry Repentin et Dominique Braye, fait au nom de la commission des affaires économiques n° 442 (2004-2005) - 29 juin 2005.

[vii] NDLR : la question est encore plus complexe lorsque la compétence d’urbanisme est transférée aux EPCI.

[viii] NDLR : voir La Bombe F, Schwarzbach et Van Gulden, ITeM info - Workshop n°6, février 2011.

Bibliographie sommaire

  • « Fiscalité de l'urbanisme », Yves Jegouzo et Jean Pierre Lebreton, revue Actualité juridique droit administratif », numéro 4/2011, pp 209-217, Février 2011

L'auteur

Vincent Renard est économiste. Directeur de recherches au CNRS et conseiller de la direction de l'IDDRI - Sciences-Po (Institut du Développement Durable et des Relations Internationales). Il est spécialisé dans les questions d'économie foncière et immobilière, dans une approche comparative (Union Européenne, Amérique Latine, Asie de l'Est, pays en transition. Il enseigne à l'Ecole Nationale des Ponts et Chaussées et à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris.

Tag(s) : #Immobilier, #Territoires
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